Christine Lagarde devant la Cour de jsutice de la République, à Paris, le 12 décembre. | FRANÇOIS MORI / AP

Editorial du « Monde ». Etait-ce une « négligence » de plus ? Christine Lagarde n’a pas jugé utile d’assister, lundi 19 décembre, à l’énoncé de l’arrêt de la Cour de justice de la République qui l’a jugée coupable de « négligence » dans l’affaire de l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie. Mme Lagarde avait sans doute mieux à faire, s’envoler vers Washington où le FMI lui a réaffirmé sa « pleine confiance ». L’essentiel était là : la Cour a prononcé une dispense de peine et sa condamnation ne sera pas inscrite à son casier judiciaire. Elle peut rester à la tête de la prestigieuse institution financière de Washington jusqu’à la fin de son mandat, en 2021. La France n’est pas mécontente de sauvegarder ce poste international, qu’elle avait failli perdre après la chute de Dominique Strauss-Kahn, en 2011. Le ministre des finances, Michel Sapin, s’est d’ailleurs empressé d’apporter son soutien à sa compatriote. Désagréable sentiment de compromission dans une affaire où l’on tente de sauver la morale et la justice sans léser ses intérêts bien compris.

Membre d’« un casting »

Revenons à l’affaire. Il était reproché à Christine Lagarde d’avoir ordonné un arbitrage privé dans l’affaire opposant Bernard Tapie à l’Etat en octobre 2007, alors qu’elle était ministre des finances de Nicolas Sarkozy. Il s’agissait de solder un conflit vieux de quinze ans, remontant à la vente contestée d’Adidas, propriété de Bernard Tapie, par le Crédit lyonnais. A l’été 2008, l’arbitrage accorda aux époux Tapie 404 millions d’euros, dont 45 millions pour « préjudice moral ». Mais, et c’est le second grief, la ministre ne fit pas appel de la décision.

Le procès a révélé le rôle que jouait réellement Christine Lagarde, celui d’une ministre faisant partie d’un « casting » – elle a ­utilisé le mot à son procès — plutôt que d’une vraie patronne de Bercy. Devant la Cour, composée de trois juges et douze parlementaires, elle a indiqué n’avoir « reçu aucune instruction politique ». Peut-être parce que tout se passait ailleurs. Bernard Tapie a été reçu 17 fois à l’Elysée et l’arbitrage a été orchestré avec l’Elysée par son directeur de cabinet, Stéphane Richard, en lequel elle avait toute confiance.

Ce procès, ce fut celui d’une ministre négligée et donc négligente.

Il faut se rappeler le rôle réduit des mi­nistres en ces temps de sarkozysme triomphant. C’était l’époque où le secrétaire ­général de l’Elysée, Claude Guéant, se permettait de corriger en direct, par émission politique interposée, la ministre des finances. C’était l’époque où Nicolas Sarkozy ­accablait tellement Mme Lagarde qu’elle en écrivit une lettre humiliante lui demandant de la démettre ou d’utiliser ses ­compétences à bon escient. Ce procès, ce fut celui d’une ministre négligée et donc négligente.

Ce procès d’exception est toutefois insatisfaisant. La légitimité de la Cour de justice laisse à désirer : Mme Lagarde a été poursuivie à la suite de la saisine du procureur de la République par un groupe de députés socialistes. Or une partie des parlementaires qui composent la Cour sont issus de ce même groupe et se trouvent donc en position de juge et partie. Le procès n’a pas permis de juger l’affaire Tapie dans son ensemble : le directeur de cabinet Stéphane Richard, aujourd’hui patron d’Orange, n’a pas été confronté à Mme Lagarde, à bon droit puisqu’il attend son procès dans cette affaire devant les juridictions ordinaires. Enfin, le grand absent de ce procès – le grand tabou – aura été Nicolas Sarkozy. On n’imagine pas, en effet, que l’arbitrage en faveur de Tapie ait été décidé sans l’aval de l’ancien président de la République.