Seulement trois jours après l’attentat qui a fait 12 morts et 48 blessés, le marché de Noël de Breitscheidplatz a rouvert ses chalets, hésitant entre peur et solidarité. | CLEMENS BILAN / AFP

En français dans le texte : « Même pas peur ! » La formule enfantine, écho à celle des attentats parisiens de Charlie Hebdo, figure maintenant sur une affiche du centre-ville de Berlin. Même pas peur ? Les Berlinois veulent se persuader que non. A quelques mètres de là, jeudi 22 décembre, les stands en bois du marché de Noël viennent de reprendre leurs activités. Vite, très vite. Deux jours à peine d’interruption depuis le traumatisme. Lundi, revendiquée par l’organisation Etat islamique, une attaque au camion-bélier entraînait la mort de douze personnes sur cette même Breitscheidplatz.

« Calme, très calme » : Regina, 27 ans, euphémise pour décrire l’ambiance à midi. Depuis son stand de confiseries, la commerçante montre du doigt trois policiers qui passent à l’instant, armes lourdes en bandoulière : « Avant, il y en avait déjà qui surveillaient le marché de Noël, mais pas avec des armes apparentes comme ça… » Cette présence policière se veut rassurante. Mais elle rappelle aussi et surtout l’incertitude dans laquelle l’attentat a plongé la capitale allemande, alors que le principal suspect de l’attaque est toujours recherché.

Les lieux ont beau avoir été déblayés, Regina se souvient de « ces gens qui criaient », de ce « sentiment qu’il se passait quelque chose de très grave ». Encore choquée, mais bien obligée de « gagner sa vie », souligne-t-elle. Quelques mètres plus loin, même pragmatisme : « Sincèrement, je trouve l’ambiance macabre, mai les gens qui travaillent ici ont une famille, ils ont des enfants à nourrir », poursuit Antje Schmitz, 38 ans, une vendeuse de bretzels. « Je ne suis pas là par plaisir ou parce qu’il fait beau. »

« Respect et paix/Pas d’interviews »

Certains vendeurs, pourtant, ont préféré éviter les retrouvailles. « La femme qui travaillait lundi a eu très peur, elle m’a dit qu’elle ne travaillerait plus au marché de Noël cette année », explique le gérant de ce stand où un panneau annonce des bretzels « XXL », Fadi Alkhudari, absent au moment de l’attentat. « Pour beaucoup, ces boulots au marché de Noël représentent des boulots d’étudiants ou des boulots en plus », complète Mme Schmitz, qui travaille le reste de l’année dans la vente de graines de café.

La conversation s’interrompt. Un client se décide pour un bretzel. « Sinon, aujourd’hui, on voit passer plus de journalistes que n’importe qui d’autre », soupire-t-elle. De stand en stand, les micros succèdent aux caméras. Une vendeuse de saucissons français a anticipé leur présence. D’un geste silencieux, elle pointe du doigt une inscription en anglais, pour les journalistes polonais, norvégien ou français de passage : « Respect et paix/Pas d’interviews. »

Sous les guirlandes de Noël, les passants contournent les nombreux journalistes télé au beau milieu de l’allée, micro en main pour un commentaire en direct. A côté d’eux, certains commerçants invoquent la consigne de leur hiérarchie : « Nous n’avons pas le droit de parler, la direction du marché nous l’a dit ce matin », assure la gérante d’un stand de jeux pour enfants. « Appelez-moi demain, mais je n’ai pas le droit sur mon lieu de travail », poursuit un vendeur de « Currywurst », sourire gêné.

Jan-Philipp Biermann, en revanche, fait partie de ceux qui souhaitent quand même s’exprimer dès maintenant. L’homme tient un stand de nourriture philippine. Lundi, il discutait avec un ami lorsqu’il a vu les passants courir vers lui pour fuir le chaos du camion. Sur le moment, une proche lui a confié avoir été « abasourdie » devant la légèreté de certains, incapables de saisir d’emblée la gravité de l’attaque : « Lundi soir, alors que des gens mourraient, elle a aperçu des passants en train de faire des photos, des vidéos près du camion…. Oui, malheureusement, il y a des gens comme ça. »

« Je veux rester optimiste »

Désormais, le deuil se lit sur les visages des passants, l’air affecté. Moins nombreux qu’à l’accoutumée, Berlinois et touristes ont tenu à venir « par pure solidarité », explique Marion, 53 ans, devant un verre de vin chaud à la cerise. Sa fille Susan, 29 ans, a déposé avec elle une fleur en hommage aux victimes. Roses et bougies se répandent près de l’allée où le camion a achevé sa course meurtrière. Des drapeaux allemands, polonais, israéliens ont également été déposés. Des messages aussi, comme celui-ci, aussi simple que profond : « Pourquoi ? »

Juste à côté, certains poussent les portes de l’église du Souvenir. Jusque-là, les touristes photographiaient ce monument de Berlin-Ouest pour son toit à moitié détruit et laissé en l’état, symbole de la seconde guerre mondiale. Désormais, l’édifice restera aussi dans la mémoire collective comme celui de l’attentat du 19 décembre. A l’intérieur, une file se forme pour patienter devant un registre de condoléances : « le registre est ouvert jusqu’à 23 heures », indique un panneau à l’entrée.

Il faudra du temps à Selim Telib, 10 ans, pour comprendre. L’enfant n’a vu aucune image de l’attentat et n’en a pas encore vraiment débattu : « A l’école les professeurs ne nous ont pas parlé de l’événement », assure l’enfant, au grand étonnement de sa mère, Sandra. Celle-ci officie dans le secteur de la communication, à une station de métro d’ici. Mme Telib a voulu surmonter son angoisse : « Peut-être que la peur est là, mais je n’ai pas envie de lui laisser prendre le dessus. Je veux encore avoir goût à la vie, je veux rester optimiste. »

Repartir de l’avant, déambuler d’un stand à un autre, mais en silence : pour marquer leur deuil, les gérants des stands ont renoncé à diffuser les musiques de Noël qui résonnaient encore lundi soir.

Réouverture du marché de Noël à Berlin après l’attentat
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