Combien sont-ils à chanter et à danser ensemble devant l’autel ? Chaque dimanche matin à partir de 8 h 30, plusieurs milliers de familles participent à la grande messe donnée sur la colline de Manantenasoa, à une dizaine de kilomètres du centre-ville d’Antananarivo, la capitale de Madagascar. Dans leurs beaux habits du dimanche, les enfants et leurs parents rient, se donnent la main ou applaudissent comme s’ils voulaient profiter encore et encore de l’instant, du plaisir d’être ensemble. Il faut dire qu’ils reviennent de loin.

Extrait de la messe du Père Pedro à Akamasoa à Madagascar
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Avec à sa tête le charismatique Père Pedro Opeka, l’association humanitaire Akamasoa (« Les bons amis » en malgache) a été créée en 1989 pour venir en aide aux plus pauvres des pauvres, ceux qui tentaient de survivre dans la décharge d’Andralanitra, un peu à l’écart de la ville. Le but de ce père lazariste né à Buenos Aires, aujourd’hui âgé de 68 ans, était de « sortir ces vivants de l’enfer », mais pas à n’importe quel prix. « Quand j’ai vu ces milliers de personnes dans les ordures, j’ai trouvé cela tellement révoltant et inhumain que je me suis dit qu’il fallait faire immédiatement quelque chose, raconte-t-il. J’ai rassemblé quelques-uns de ces exclus parmi les plus motivés et leur ai dit : “Je ne viens pas vous assister car j’ai trop de respect pour vous et, de toute façon, je n’ai pas d’argent à partager. Mais ensemble, nous allons créer des coopératives, des lieux de travail, des petites entreprises…” En agissant ainsi, nous avons pu gagner progressivement leur confiance et faire en sorte qu’ils retrouvent leur dignité. »

Il aura fallu du courage, beaucoup de patience et une longue chaîne de solidarité internationale (une vingtaine d’associations soutiennent Akamasoa en France, en Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis…) pour que des Malgaches « vaincus par la misère et vivant au fond d’une cabane faite de cartons et de plastiques se serrent les coudes et construisent près de 3 000 maisons en ciment et hébergent près de 25 000 personnes [réparties dans cinq centres en périphérie de la capitale et trois en province]. »

La violence et la criminalité

Raconter le début de cette aventure digne d’un conte de Noël revient à se poser la question de savoir où va l’urgence quand l’urgence est partout. Afin que son projet prenne vie, le Père Pedro a estimé qu’avec des familles désireuses de s’en sortir, il fallait d’abord s’éloigner de la misère et quitter la décharge où des centaines de familles tentaient de survivre à chaque heure. Il a pensé que le fait de s’installer à la campagne, à une soixantaine de kilomètres au nord d’Antananarivo, allait permettre à ces personnes de fuir les promesses illusoires de la ville et ne pas sombrer dans la violence et la criminalité. Il a alors créé des communautés solidaires orientées vers le travail de la terre.

« L’extrême pauvreté est une prison qui tue l’âme d’une personne, explique t-il. Si vous n’avez pas conscience de votre dignité et n’avez pas les choses essentielles pour vivre, vous devenez un sous-homme. L’égoïsme, l’indifférence et le chacun pour soi s’installent, dictent votre vie et progressivement vous éloigne de la communauté humaine. Dans les cas extrêmes, vous perdez votre esprit et sombrez dans une violence meurtrière dont l’origine n’est autre que l’extrême pauvreté. » Les premières maisons en bois se sont dressées suivies par d’autres en ciment, puis des écoles… Il n’a suffi que de quelques mois pour voir apparaître un nouveau village, dans un pays alors très instable politiquement, et considéré comme l’un des plus pauvres au monde avec ses 92 % de la population sous le seuil de pauvreté (1,2 euro par jour).

« Il faut aider sans assister, explique le Père Pedro. Je travaille pour les pauvres mais pour qu’ils puissent eux-mêmes reconstruire leur vie et préparer l’avenir de leurs enfants. » En un quart de siècle, l’association du Père Pedro, nommé à plusieurs reprises (2011, 2013 et 2015) pour le prix Nobel de la paix, a construit 18 villages et elle est venue en aide à plus de 500 000 Malgaches en leur donnant des soins (chaque village compte une école, un dispensaire, une structure sportive…), des vêtements ou un repas. Au cours de l’année 2014, 38 000 personnes sont ainsi passées par les différentes structures. « La nature a fait que nous n’avons pas les mêmes talents, les mêmes capacités ni les mêmes chances, rappelle le Père Pedro. Le partage est un devoir humain, moral et spirituel. Sans partage, nous allons droit dans le mur parce qu’aucun humain ne peut se suffire à lui-même. »

« Tout le monde a un emploi, chacun est payé »

Chaque personne qui arrive dans un village de l’association passe d’abord par le centre d’accueil. « Pendant plusieurs jours, on va observer son attitude, voir s’il est dépendant de l’alcool ou de la drogue, étudier aussi le comportement d’un mari avec sa femme et ses enfants, explique Sarah, qui travaille avec des adolescents dont les parents sont alcooliques. On va aussi étudier sa motivation pour s’en sortir, voir quelles sont ses compétences pour travailler. Ici, tout le monde a un emploi et chacun est payé… La plupart des personnes qui repartent du centre le font de leur gré, parce qu’elles ne parviennent pas à suivre les règles. »

En ce dimanche de novembre, il y a une dizaine d’adultes et une ribambelle de gamins dans le centre d’accueil d’Akamasoa. « J’ai grandi et passé toute ma vie dans la rue, raconte Noeline, 51 ans. Depuis quelque temps, je n’ai plus les moyens de trouver à manger alors je suis venue. J’ai des problèmes psychiatriques et aucune autre solution que d’attendre ici pour l’instant. » Au bout de la cour, où du riz cuit sur de petits brasiers, plusieurs familles s’entassent dans une pièce. « Je suis arrivée de la campagne, à une centaine de kilomètres d’ici, avec mes quatre enfants et mon mari. Il est gravement malade et j’aimerais qu’il se fasse ausculter, explique Jacqueline, 31 ans. Je suis là depuis une semaine et je remercie le Père Pedro ! Un jour peut-être, j’habiterai dans une maison… »

Dans le village d’Akamasoa, un dimanche matin après la messe, en novembre 2016. | DR

Dans la rue qui serpente à travers le village, de petits groupes discutent à la sortie de la messe. « Ce peuple qui était autrefois dans les ordures vit aujourd’hui debout car il a retrouvé sa dignité, estime le Père Pedro. Cette messe du dimanche est importante. Elle est joyeuse car je pense qu’on ne peut rencontrer Dieu que dans la joie… Notre vie est difficile et chaque dimanche nous prenons de la force pour continuer notre combat pour la justice et la fraternité. » Chaque maison du village a été construite par son futur propriétaire, épaulé par d’autres habitants. Il y a des enfants qui jouent dans la rue, des fleurs au balcon et de la musique entraînante qui s’échappe d’une fenêtre. Dans la rue joliment pavée, il n’y a pas un papier par terre.