Rapportée à la richesse nationale, cette dette de l’ensemble des administrations publiques, mesurée selon les critères de Maastricht, atteint 97,6 % du produit intérieur brut. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Il y a un an, bien peu se seraient risqués à la prédire. Et pourtant. L’année 2016 s’achève sur une remontée des taux d’emprunt français. Le rendement des obligations tricolores à 10 ans, les OAT, est revenu à 0,7 %, alors qu’il avait chuté, fin juillet, à moins de 0,1 % sur le marché secondaire – celui où s’échange la dette déjà émise. La dette publique française, elle, s’élevait à 2 160,4 milliards d’euros au troisième trimestre 2016, soit 97,6 % du produit intérieur brut (PIB), contre 98,4 % trois mois plus tôt, soit une baisse de 0,9 point, selon les chiffres publiés par l’Insee, vendredi 23 décembre. Alors que les questions budgétaires demeurent au cœur de la campagne présidentielle en cours, la hausse des taux souverains hexagonaux doit-elle inquiéter ?

Avant toute chose, il convient de la replacer dans son contexte. La France s’est endettée à un taux incroyablement bas cette année : 0,37 % en moyenne. Sur le marché secondaire, le rendement des obligations souveraines tricolores frôle à peine son niveau de début d’année. En comparaison, il atteignait 2,4 % début 2014, et dépassait 4,5 % à l’automne 2008, en pleine crise financière. Cette fois, plus que son ampleur, c’est la rapidité de la hausse qui a surpris. La remontée des prix du pétrole durant l’année a dopé les anticipations d’inflation de la part des investisseurs. Début novembre, l’élection de Donald Trump, qui a promis une hausse des dépenses d’infrastructures et des mesures protectionnistes aux Etats-Unis, a accéléré le phénomène, par un classique mécanisme de contagion.

« Mais il s’agit surtout d’un retour à la normale. Des taux d’intérêt à zéro, cela n’a aucune logique économique » pointe René Défossez, stratège chez Natixis. De fait, en 2016, la planète taux a marché sur la tête. Envoyées au tapis par les mesures de rachats d’actifs massifs de la Banque centrale européenne (BCE), mais aussi par la croissance atone, de nombreuses obligations souveraines européennes ont affiché des rendements… négatifs. Autrement dit, les investisseurs payaient pour emprunter aux Etats !

Echéances électorales à surveiller

Le phénomène s’estompe désormais. Aidée par le pétrole, l’inflation devrait remonter progressivement, à 1,4 % en moyenne l’an prochain, contre 0,3 % en 2016, selon M. Défossez. A partir de mars, la réduction des rachats mensuels de dettes de la BCE pourrait contribuer à une légère tension des taux. Rien de révolutionnaire toutefois : soucieuse de ne pas déstabiliser les marchés, la BCE a établi un calendrier très prudent. En 2016, l’institut de Francfort a racheté sur le marché secondaire une part importante des titres de dette tricolores émis : 126 milliards d’euros. Un véritable filet de sécurité qui, en assurant à la France une demande pérenne, maintient le rendement des OAT à un niveau faible.

Ce sont surtout les échéances électorales qui seront scrutées de près par les investisseurs. A gauche, mais aussi à droite, les candidats à l’Elysée semblent vouloir s’affranchir de la règle d’un déficit de 3 % du PIB inscrite dans le pacte de stabilité européen. Quant à la menace d’une victoire populiste en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas, elle fait ressurgir le spectre d’une flambée des taux. « Les investisseurs extra-européens ne comprennent pas vraiment la politique européenne. Les craintes sont plus importantes après le Brexit et l’élection de Trump », confirme Raoul Salomon, coresponsable de Barclays France, l’un des dix-sept spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), ces banques qui conseillent l’Etat en matière de financement sur les marchés. « Si un parti populiste accédait au pouvoir, il pourrait y voir des conséquences pour la zone euro, avec une politique un peu moins regardante sur la solvabilité de la dette. Sans parler d’une éventuelle sortie de l’euro », prévient M. Défossez.

Des tours de passe-passe politique inquiétants

Pour l’an prochain, les perspectives d’émissions françaises varient peu : l’Agence France Trésor, en charge du placement de la dette, prévoit un besoin de financement de 185 milliards, contre 187 milliards en 2016. La charge (intérêts) de la dette est estimée à 41,5 milliards d’euros l’an prochain, avec un taux à dix ans estimé à 1,25 % fin 2017, contre 41,6 milliards cette année. En effet, pour rembourser ses anciennes dettes arrivant à échéance, l’Etat en contracte de nouvelles, à un taux plus faible. Résultat : « Depuis six à sept ans, notre charge d’intérêts recule alors que notre dette progresse ! », souligne Gilles Carrez, le président LR de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui rappelle qu’à l’inverse « une hausse d’un point équivaut à 2,5 milliards d’euros d’intérêts supplémentaires la première année, et le double l’année suivante. »

M. Carrez se dit plus inquiet des tours de passe-passe politiques mis en œuvre pour contenir la dette, à l’image du mécanisme des « primes d’émissions », pointé du doigt cet été par un rapport de la Cour des comptes : l’Etat prolonge d’anciennes lignes de dette, à des taux plus attrayants pour les investisseurs, en échange d’une prime versée par ces derniers en cash. Conséquence : une recette immédiate pour l’Etat, qui amoindrit la dette à court terme… mais risque de l’alourdir à moyen terme. « Les primes d’émission ont toujours existé, mais elles ont représenté environ 40 milliards d’euros entre 2015 et 2016, contre 7 milliards en 2014 », déplore M. Carrez. Plus que jamais en 2017, la dette demeurera un objet politique autant que financier.