Les deux comédiens de « Diamond Island », Sobon Nuon et Madeza Chhem, ont été découverts dans la rue. | Les Films du Losange

Quatre jeunes fendent la foule dans les éclats fluo d’une fête foraine, sur l’air de Quando my Love, standard latin repris par le crooner cambodgien Sin Sisamuth. La caméra suit le visage de Bora, villageois monté à la capitale pour travailler sur les chantiers, et découvre à travers ses yeux affamés la magie de Koh Pich (« l’île au diamant »), où ont été construits ex-nihilo gratte-ciel et résidences de luxe.

Diamond Island, premier long-métrage du réalisateur franco-cambodgien de 33 ans Davy Chou, sort en salle en France le 28 décembre, deux mois après sa première cambodgienne. Sa singularité tient en partie à l’originalité de son casting de comédiens non professionnels, repérés dans la rue. Sobon Nuon, alias Bora, travaillait aux abords d’un marché comme rabatteur de taxis ; l’héroïne, Madeza Chhem, a été remarquée au stand de glaces d’un centre commercial. Leur fraîcheur a déconcerté et séduit. « Dans les films cambodgiens, on n’a pas l’habitude de voir les gens parler de choses intimes comme dans la vraie vie. C’est la première fois que j’ai vraiment pu m’identifier aux personnages », détaille Vanny, une étudiante en commerce de 20 ans.

L’effervescence d’une movida culturelle

Appâter le public cambodgien avec un film d’auteur est une gageure. Le pays de 15 millions d’habitants est divisé entre le monde rural, où résident 80 % de la population, et Phnom Penh, capitale en plein boom où se côtoient classe moyenne et expatriés dans l’effervescence d’une movida culturelle. Le public des salles obscures, uniquement citadin et socialement favorisé, n’échappe pas à ce clivage.

«  Diamond Island » a surpris les Cambodgiens parce qu’il parle d’eux. | Les Films du Losange

Dans les années 1960, le septième art avait pourtant la faveur du peuple. La capitale comptait alors trente cinémas, et le roi Norodom Sihanouk lui-même s’adonnait à la réalisation. Mais, à la suite de la tabula rasa khmère rouge (1975-1979), le cinéma, comme le reste, a été rayé de la carte.

La nouvelle génération a été biberonnée aux téléfilms doublés en khmer par une seule et même voix pour tous les personnages, masculins et féminins. Mais, au tournant des années 2010, des promoteurs ont doté la capitale de rutilants multiplexes offrant projection en 3D et fauteuils remuants. La programmation y est surtout limitée aux films d’horreur, comédies romantiques et blockbusters. Et les films ne sont généralement projetés qu’une semaine.

« Si “Diamond Island” parvient à toucher quelques personnes, ce sont des graines plantées pour l’avenir. » Cheanick Nov, artiste et comédien

Diamond Island a tenu deux semaines à l’affiche et a atteint 3 000 entrées. À l’échelle du cinéma cambodgien, le pari est donc gagné pour le jeune réalisateur aux petites lunettes rondes. Si le film a été remarqué à Cannes (où il était sélectionné à la Semaine de la critique), il a bénéficié au Cambodge d’un bouche-à-oreille, retransmis par une communauté de fans. Au fil d’allers-retours entre la France et le Cambodge, Davy Chou a fondé à Phnom Penh un collectif d’artistes, un festival, une maison de production et réalisé trois courts-métrages, inspirant ainsi toute une génération d’apprentis cinéastes.

Ce frémissement aura-t-il une suite ? Les professionnels du marché tirent leur chapeau, tout en émettant quelques doutes quant à la maturité du public pour ce type de films. L’artiste peintre Cheanick Nov, qui joue le grand frère ténébreux de Bora dans le film, confiait à la sortie de la première : « Le film est beau, même si j’ai peur que sa lenteur ne dissuade. Le public cambodgien n’a sans doute pas encore toutes les clés pour apprécier un tel film, mais si Diamond Island parvient à toucher quelques personnes, ce sont des graines plantées pour l’avenir. »

La bande-annonce de « Diamond Island »

DIAMOND ISLAND Bande Annonce (officielle)
Durée : 01:46

Par Éléonore Sok-Halkovich