Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, en 2013. | BERTRAND LANGLOIS / AFP

Les temps sont durs pour les manuels scolaires. Alors qu’ils font peau neuve dans le sillage de la réforme des programmes, les éditeurs semblent naviguer d’une polémique à une autre, amplifiée chaque fois par la caisse de résonance des réseaux sociaux. La dernière en date ne concerne ni la pseudo « théorie du genre » dont ils sont régulièrement accusés de faire la promotion, ni des sites d’extrême droite que leurs auteurs prennent parfois involontairement pour référence, mais un principe sur lequel l’éducation nationale affiche la fermeté : la laïcité.

L’ouvrage mis en cause est un nouveau manuel d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique, publié aux éditions Delagrave et utilisé, depuis septembre, en terminale professionnelle. Le chapitre qui a poussé parents et enseignants à saisir l’Observatoire de la laïcité met la barre haut : « Développer Ia conscience éthique, sociale et civique ». C’est aussi autour de cet enjeu que l’éducation nationale avait appelé la communauté éducative à se mobiliser après l’attaque contre Charlie Hebdo, et pressé le pas pour mettre en œuvre, dès 2015, cette « morale laïque » appelée de ses vœux par l’ancien ministre Vincent Peillon.

Et pourtant, sur un sujet aussi sensible, les rédacteurs du manuel n’ont eux-mêmes pas l’esprit très clair. Ils ont confondu les lois de 1905 et de 2004 – celles dont on attend, justement, des élèves une connaissance et une appropriation sans failles. Le commentaire illustrant la photographie d’une « manifestation des sikhs à Paris en 2004 », page 141, témoigne de cette confusion : « En vertu de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, des élèves sikhs portant le turban ont été exclus des établissements scolaires publics », peut-on y lire. Sous ce commentaire erroné, un rappel de la loi du 15 mars 2004 – celle qui interdit « le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » – ne rend pas le propos plus clair.

Socle républicain

A la fin du chapitre, il est demandé aux élèves de comparer la charte de la laïcité à l’école (affichée dans tous les établissements depuis la rentrée 2013) à une charte en entreprise, rapprochement périlleux alors que les contextes, les publics mais aussi les cadres juridiques et les missions y sont très différents.

« La laïcité est une notion complexe mais constitutive de notre socle républicain. Son enseignement ne doit souffrir d’aucune confusion », écrit Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, dans un courrier adressé à l’éditeur le 22 décembre.

L’ancienne petite maison d’édition indépendante, rachetée récemment par Magnard Vuibert, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais dans le courrier qu’elle a transmis, le 23 décembre, à l’Observatoire de la laïcité, elle fait amende honorable : sa directrice générale, Mahin Bailly, s’engage à « procéder à la correction » concernant la légende photo des jeunes sikhs, et à « modifier la page [relative aux chartes de la laïcité] afin qu’elle ne prête plus à confusion », tout en faisant valoir que les élèves de la voie professionnelle « effectuent une large part de leur formation en stage ».

Reste l’impression d’un bricolage peu profitable aux élèves, sur un sujet qui prête déjà le flanc à toutes les instrumentalisations. « On a même le sentiment que les bourdes dans les manuels se multiplient, analyse, sévère, Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat des enseignants de l’UNSA. Dans la course effrénée aux changements de programmes, c’est comme si l’exigence de productivité finissait par l’emporter sur celle de vigilance. »