Manifestation de soutien à Jacqueline Sauvage, le 10 décembre à Paris. | FRANCOIS GUILLOT / AFP

A peine plus de deux heures se sont écoulées entre le communiqué de l’Elysée annonçant la grâce présidentielle et la sortie de prison de Jacqueline Sauvage, mercredi 28 décembre à 18 h 30. A tout juste 69 ans, cette femme condamnée à dix ans de prison par deux cours d’assises, en première instance et en appel, pour avoir tué son mari en 2012, était devenue le symbole des victimes des violences conjugales. Elle avait subi pendant quarante-sept ans les violences physiques, psychologiques et sexuelles d’un homme qui avait également abusé sexuellement de leurs trois filles.

« Le président de la République a estimé que la place de Mme Sauvage n’était plus aujourd’hui en prison, mais auprès de sa famille », justifie de façon lapidaire le communiqué. La décision de François Hollande a été saluée à la quasi-unanimité par les politiques de gauche comme de droite. De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet, de nombreuses personnalités s’étaient mobilisées pour demander sa grâce.

Les dix années de réclusion criminelle infligées en appel en décembre 2015 avaient choqué une partie de l’opinion, prise de compassion pour cette femme battue. Un comité de soutien a été lancé par la comédienne Eva Darlan, une pétition en ligne a recueilli rapidement plusieurs centaines de milliers de signatures tandis que Valérie Boyer, porte-parole du parti Les Républicains, mobilisait plus de 80 parlementaires.

Fait unique dans les annales, Mme Sauvage aura bénéficié de deux grâces présidentielles. D’abord le 31 janvier, M. Hollande a accordé une grâce partielle à la condamnée la plus célèbre du moment, levant la période de sûreté dont sa peine d’emprisonnement était assortie. Le chef de l’Etat ne remettait pas en cause la durée de la peine, mais permettait à Mme Sauvage de demander une libération conditionnelle. « Face à une situation humaine exceptionnelle », il s’agissait de « rendre possible, dans les meilleurs délais, le retour de Mme Sauvage auprès de sa famille, dans le respect de l’autorité judiciaire », expliquait alors le communiqué officiel.

« Le moment était venu »

Ces vœux clairement exprimés n’ont pas été suivis d’effet. La demande de libération conditionnelle rapidement déposée par ses avocates, Jacqueline Tomasini et Janine Bonaggiunta, a été rejetée par le tribunal d’application des peines de Melun le 12 août. Le 24 novembre, la cour d’appel de Paris refusait à son tour d’ouvrir la porte de la prison de Mme Sauvage. Pour justifier cette décision impopulaire, les magistrats parisiens ont souligné que sa « réflexion demeure pauvre et limitée puisqu’elle peine encore à ce jour à accéder au réel et authentique sentiment de culpabilité ». Elle aurait dû attendre le printemps 2018 pour être libérable.

Une nouvelle demande de grâce présidentielle a été déposée en conséquence le 2 décembre. Dès le début sensible au cas de cette femme, M. Hollande n’a pas traîné à décider cette fois une grâce totale en accordant « une remise gracieuse du reliquat de sa peine d’emprisonnement ». Ce qui fait hurler l’Union syndicale des magistrats (USM). Cette décision est « consternante et lamentable », déclare Virginie Duval, présidente de ce syndicat majoritaire. A l’USM, on s’indigne d’une grâce qui « remet en cause des décisions de justice », celles des jurys populaires d’assises sur la condamnation comme celles des magistrats professionnels sur la libération conditionnelle. Et de dénoncer « une nouvelle atteinte à l’indépendance de la justice par l’exécutif ».

Dans l’entourage de François Hollande, on justifie cette grâce en deux temps par le fait qu’elle « a déjà fait dix mois de détention supplémentaires depuis sa demande de libération conditionnelle. Le moment était venu ».

Droit régalien

Le cas de Mme Sauvage est complexe, comme le révèle la sévérité des verdicts à son égard. Ses avocates avaient choisi de plaider la légitime défense pour obtenir l’acquittement, estimant que ces années de violences répétées constituaient une emprise dont elle ne pouvait s’extraire et qu’elle risquait à tout moment de succomber sous les coups de son mari. Mais cette sorte de légitime défense différée n’existe pas juridiquement. Mme Sauvage a tué son mari de trois balles dans le dos tirées avec une carabine de chasse. Elle n’était pas, à cet instant, dans les conditions admises pour la légitime défense. Vouloir nier le geste mortel, plutôt que de l’expliquer en plaidant les circonstances atténuantes, n’a en tout cas pas convaincu la justice. Pour cette raison, Mme Boyer, députée des Bouches-du-Rhône, a déposé une proposition de loi pour faire entrer la notion d’« emprise » dans le droit qui expliquerait une altération du jugement des femmes prisonnières de violences conjugales

« Le propre de la justice est d’être humaine, elle peut se tromper, affirme Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris. Il n’est pas anormal que le premier magistrat de France, élu par le peuple au nom de qui la justice est rendue, décide pour des raisons humaines de mettre fin à une situation, même si la méthode est un peu brouillonne. »

Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, préfère ne pas se prononcer sur le cas de Mme Sauvage dont elle ne connaît pas le dossier, « d’autant plus que la grâce est un droit régalien qui ne se motive pas ». Il est donc difficile d’en contester les motivations… Selon elle, « c’est une survivance de l’ancien régime qui n’a peut-être plus sa place aujourd’hui, mais la question de l’indépendance de la justice est ailleurs ».