Israël a confirmé, mercredi 28 décembre, des mesures de rétorsion contre le Sénégal. Dakar a porté, le 23 décembre, avec trois autres membres non permanents du Conseil de sécurité, (Nouvelle-Zélande, Malaisie et Venezuela), la résolution 2334 condamnant pour la première fois la colonisation israélienne dans les territoires occupés. L’ambassadeur israélien à Dakar a été rappelé en consultation, la visite en Israël prévue en janvier 2017 du ministre sénégalais des affaires étrangères Mankeur Ndiaye est annulée, tout comme les lettres de créance de l’Ambassadeur du Sénégal en Israël, qui a résidence au Caire. Enfin, tous les programmes israéliens de coopération au Sénégal sont suspendus.

L’ambassadeur de Palestine à Dakar, Sawat Ibraghith, en profite pour annoncer un renforcement des liens de l’Autorité avec le Sénégal. A 44 ans, il a surtout été en poste à Paris, auprès de l’Unesco et à la mission de Palestine.

Avez-vous été surpris de voir un pays comme le Sénégal porter ce projet à l’ONU ?

Il ne faut pas s’étonner de voir le Sénégal prendre part à cette bataille diplomatique et juridique. Depuis son indépendance, le Sénégal n’a cessé de rappeler sa position en faveur de la défense de la Palestine, une position ferme et constante. Il ne s’agit pas seulement de solidarité avec le peuple palestinien, mais aussi de paix, de droit et de justice. Le Sénégal est adepte de ces trois valeurs et joue un rôle historique et stratégique grâce à une diplomatie brillante. Aujourd’hui, le Sénégal a prouvé qu’il n’est pas prêt à marchander quand il s’agit de valeurs humaines.

Quelles ont été les réactions des Palestiniens vis-à-vis du Sénégal ?

Sur notre page Facebook, nous avons reçu des dizaines de messages de Palestiniens qui ne connaissaient pas la culture et les traditions du Sénégal, mais se sont dit très reconnaissants. Beaucoup pensent venir à Dakar et faire un geste pour montrer leur gratitude. Cette résolution de l’ONU leur a montré que la communauté internationale pouvait agir et qu’ils ne sont pas oubliés. Un moment, les Palestiniens avaient perdu espoir dans la oummah [communauté] islamique. Or le Sénégal, qui n’a pas de frontière avec la Palestine et se trouve à l’autre bout du monde, a démontré courageusement que cette oummah fonctionne encore et que la solidarité active reste intacte.

Israël a pris des mesures de représailles contre le Sénégal, comme la suspension des programmes d’aide. Les pays arabes vont-ils augmenter leur soutien, pour compenser ?

Sur la question de l’aide, j’émets quelques réserves. Car le Sénégal est un pays qui n’a besoin ni de la Palestine, ni d’Israël, ni d’autres. C’est un pays émergent et stable. S’il y en a qui ont la prétention d’aider le Sénégal, tant mieux, mais s’ils le font pour marchander et croient que les Sénégalais peuvent être à leur solde, ils se trompent carrément. Après, je ne peux pas parler au nom des pays arabes, qui sont des Etats souverains. Mais je suis confiant qu’ils seront davantage attentifs aux besoins du Sénégal, en signe de reconnaissance et d’estime pour sa diplomatie. De plus, il ne faut pas négliger l’importance stratégique du Sénégal et le fait qu’il est central dans la oummah islamique et dans l’organisation de la coopération islamique.

Quels sont vos projets à venir ?

Depuis mon arrivée, en 2015, nous souhaitons passer de la solidarité populaire au partenariat institutionnel. Nous avons proposé aux autorités sénégalaises, il y a quelques mois déjà, d’entamer une série de travaux pour conclure un partenariat économique.

L’agence palestinienne de coopération internationale devrait créer sa première antenne régionale à Dakar. Cela servira à la fois le Sénégal et d’autres pays de la sous-région pour acheminer l’énergie, le savoir-faire, la connaissance et l’expérience palestinienne en Afrique. A travers cette agence, on pourra coopérer dans plusieurs domaines comme la santé, l’éducation supérieure, l’énergie renouvelable et l’agriculture.

En février 2017, nous organisons un premier forum sénégalo-palestinien, dans l’agroalimentaire. Ce sera en partenariat avec les chambres de commerce de Dakar et de Thiès, mais aussi avec des entreprises à Saint-Louis et en Casamance. L’objectif est que des industriels palestiniens puissent explorer le marché sénégalais en vue de projets d’investissement.

Combien représenteraient ces projets palestiniens pour le Sénégal ?

On ne l’a pas encore défini parce que le partenariat est en cours. Ce que l’on peut dire pour l’instant, c’est que dans le domaine de la santé par exemple, on compte envoyer plusieurs médecins, dans l’éducation supérieure, des enseignants, etc. Mais c’est seulement une fois que le partenariat sera signé que l’on pourra avancer des chiffres avec précision.

Israël se retire, la Palestine s’implique davantage au Sénégal…

Il ne faut pas l’interpréter de cette manière. La Palestine a toujours été impliquée au Sénégal. Pas de manière aussi forte, certes. Désormais, nous allons nous tourner davantage vers nos pays frères. Pour dire que malgré l’occupation et nos souffrances, nous sommes aussi capables d’être une valeur ajoutée au Sénégal et de jouer un rôle actif en faveur de son peuple.