Des partisans de la grâce en faveur de Jacqueline Sauvage, le 10 décembre à Paris. | FRANÇOIS GUILLOT / AFP

François Hollande a accordé, mercredi 28 décembre, la grâce présidentielle à Jacqueline Sauvage, 69 ans, condamnée à dix ans de prison ferme pour le meurtre de son mari violent. Pour mieux comprendre les motivations de cette mesure exceptionnelle, retour sur l’évolution de l’affaire.

Les circonstances du meurtre

C’est à Selle-sur-le-Bied (Loiret), dans un pavillon résidentiel, que Jacqueline Sauvage a vécu pendant quarante-sept ans avec son mari, Norbert Marot, avant de le tuer le 10 septembre 2012. Cet acte, elle l’a commis pour mettre fin à des décennies de maltraitance envers elle et ses enfants. Alcoolique, Norbert Marot faisait preuve d’une extrême violence qui a valu à sa femme quatre séjours aux urgences entre 2007 et 2012. Ses enfants ont également été victimes des sautes d’humeur de cet homme incestueux, deux de leurs trois filles ayant affirmé avoir subi des violences sexuelles. L’unique fils du couple, lui aussi cible régulière de l’agressivité de son père, s’est suicidé le 9 septembre 2012, quelques heures avant le meurtre.

Le jour de l’homicide, après s’être disputée avec son mari au sujet de leur entreprise commune, une société de transports, menacée de fermeture, Jacqueline Sauvage prend des somnifères avant de partir se reposer dans sa chambre qu’elle ferme à clé. Son mari, ivre, la rattrape, il force la porte et frappe violemment sa femme. Il part ensuite s’installer sur la terrasse pour continuer à boire. Toujours à l’étage, Jacqueline Sauvage s’empare d’un fusil de chasse, descend et tire trois coups dans le dos de son mari. Elle prévient ensuite les secours et confesse son acte.

Les zones d’ombre des faits

  • La préméditation

Après onze mois de détention préventive, Jacqueline Sauvage a été condamnée par la cour d’assises du Loiret, le 28 octobre 2014, à dix ans de réclusion criminelle pour le meurtre sans préméditation de son mari, décision confirmée en appel en décembre 2015. La préméditation n’a donc jamais été retenue dans cette affaire.

  • La légitime défense

Jacqueline Sauvage a invoqué la légitime défense pour tenter d’alléger voire de supprimer sa peine. Dans le droit français, la légitime défense ne s’applique qu’en cas de concomitance de l’acte et de l’agression et impose également la proportionnalité de la riposte, ce qui n’était pas le cas lors du meurtre de Norbert Marot. Les avocates de Jacqueline Sauvage, Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta, ont appelé pendant les procès, en vain, à « repousser les limites de la légitime défense appliquée aux situations de violences conjugales ». Si l’argument n’a pas réussi à convaincre les juges, il a tout de même enclenché un débat autour d’une éventuelle révision de ce droit dans le cadre de la maltraitance conjugale.

A la suite de sa condamnation, Jacqueline Sauvage est devenue un véritable symbole des victimes des violences conjugales subies par les femmes. Les collectifs féministes se sont approprié l’affaire et des manifestations ont été organisées dans Paris en décembre et janvier 2015. Une pétition a également été lancée pour appeler à sa libération ; elle a réussi à rassembler plus de 430 000 signatures.

L’affaire a aussi reçu le soutien de nombreuses personnalités, notamment d’Anne Hidalgo, maire PS de Paris, qui a créé un comité de soutien, avec l’ex-député écologiste européen Daniel Cohn-Bendit et le dirigeant du Front de gauche, Jean Luc Mélenchon, réclamant « la libération immédiate » de Jacqueline Sauvage et « la révision de la loi sur la légitime défense ». Du côté de la droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, député Les Républicains, a même rendu visite à Jacqueline Sauvage en prison en guise de soutien et la présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Valérie Pécresse, a demandé la grâce présidentielle pour cette dernière.

Une décision légitimant le fait de se « faire justice soi-même » ?

  • Une grâce partielle en janvier permettant une libération conditionnelle refusée par la justice

La mobilisation a d’abord donné lieu, le 31 janvier 2016, à une grâce partielle accordée par le président Hollande. Cette grâce lui a permis de présenter une demande de libération conditionnelle. Si l’initiative a été saluée par l’opinion publique et par certains représentants politiques, les magistrats n’étaient pas du même avis. Le tribunal d’application des peines de Melun a provoqué la surprise le 11 août 2016, en refusant sa libération conditionnelle, avant d’être rejetée à nouveau par la cour d’appel de Paris le 24 novembre.

Les deux refus ont été motivés par les mêmes arguments. Les magistrats ont estimé que la condamnée ne s’interrogeait « pas assez sur son crime » et qu’elle ne comprenait pas le sens de sa peine. La forte médiatisation de l’affaire et les soutiens qui lui ont été manifestés la maintenaient dans « une position victimaire » pour un meurtre qu’elle a elle-même commis, sans s’interroger « sur sa part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple ». Jacqueline Sauvage n’avait jamais porté plainte pour violences conjugales et n’avait dont pas tenté, selon l’avis des juges, de trouver une autre solution que celle de tuer son mari.

  • Une grâce totale mettant fin à la détention

La grâce totale, prononcée par François Hollande, mercredi 29 décembre, et mettant fin à sa détention – mais sans l’innocenter –, a été elle aussi reçue différemment par la sphère politique et par la sphère juridique. Soutenue par les représentants politiques de tous bords, elle n’a pourtant pas été du goût des magistrats, qui y ont vu une entrave à leur décision.

Me Daniel Soulez-Larivière, avocat et membre du barreau de Paris, assure au Monde qu’« invoquer l’excuse de légitime défense revient à nier le crime en tant que tel ». C’est ce qui, selon lui, a poussé les magistrats à insister à chaque fois sur sa culpabilité dans le meurtre de son mari et sur l’impossibilité d’une liberté conditionnelle dans un environnement où elle ne pourrait remettre en cause son acte. Selon Me Daniel Soulez-Larivière, le comportement violent et incestueux du mari aurait dû être soulevé comme une circonstance atténuante et non pas comme un argument pour innocenter totalement Jacqueline Sauvage. Légitimer ce meurtre revient selon lui à considérer l’homicide comme une solution alternative aux violences conjugales et permettrait ainsi de « se faire justice soi-même », un principe contraire aux fondements mêmes de la société et que les juridictions se sont donné le devoir de refuser.