Du centre Pompidou-Metz au Musée du Quai Branly, en passant par le MuCEM à Marseille, pour le passage de 2016 à 2017, La Matinale vous propose une sélection d’expositions à visiter d’urgence avant qu’elles ne ferment (ouvertes le 1er janvier).

Magritte, faussaire de génie, au Centre Pompidou (Paris)

« La lampe philosophique » (1936). | PHOTOTHÈQUE RENÉ MAGRITTE/ADAGP

Magritte (1898-1967) a passé son temps à créer le trouble. Il s’est appliqué à dénoncer les illusions de la peinture et les conventions du langage : les images nous leurrent et les mots abusent de notre crédulité. Une centaine d’œuvres, principalement des toiles, sont disposées dans l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou, dans un ordre qui n’est pas chronologique, mais logique. L’obsession, ici, c’est la fausseté. Aussi l’exposition a-t-elle pour titre celui d’un Magritte entre tous exemplaire, La Trahison des images, plus connu sous le nom de Ceci n’est pas une pipe. Magritte, fatigué de devoir s’expliquer, finit par s’en tenir à un raisonnement simple : ceci n’est pas une pipe puisque nul ne peut la fumer. L’image trahit en se prétendant le double de l’objet, alors qu’elle n’en est, tout au plus, qu’une indication partielle. Trompe-l’œil et trompe-l’esprit. Philippe Dagen

Centre Pompidou, Galerie 2. Paris 4e. Tous les jours (sauf mardi) de 11 heures à 21 heures. Nocturne jusqu’à 23 heures les jeudis soir et lundis soir. Entrée : de 11 € à 14 €. Jusqu’au 23 janvier. Centrepompidou.fr

La ségrégation sous toutes ses coutures, au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac (Paris)

Musée du Quai-Branly Jacques Chirac

« The Color Line » est le titre d’un article paru en 1881, écrit par Frederick Douglass. Né esclave en 1817 ou 1818, il parvient, en 1838, à s’enfuir à New York, et s’engage dans une existence difficile d’orateur et d’écrivain, combattant de l’abolitionnisme. Contraint un temps de s’exiler en Europe pour éviter d’être repris comme esclave fugitif, il devient pendant et après la guerre de Sécession un homme politique de premier plan. La Color Line signifie la ligne de la ségrégation. L’exposition présentée au Musée du Quai-Branly – Jacques Chirac « The Color Line », sous-titrée « Les artistes africains-américains et la ségrégation », est savante et construite avec la volonté d’instruire autant que de surprendre. Elle réunit à peu près six cents œuvres et documents, dont l’immense majorité est prêtée par des collections privées et publiques des Etats-Unis. Son actualité est une évidence : elle traite du mépris et du rejet de l’autre, des communautarismes et de leurs effets, du volontarisme politique et de la persistance flagrante du racisme. Ph.D.

Musée du Quai Branly - Jacques Chirac, 37, quai Branly, Paris 7e. Du mardi au dimanche de 11 heures à 19 heures, jeudi, vendredi et samedi jusqu’à 21 heures. Entrée : de 7 € à 10 €. Jusqu’au 15 janvier.

Hergé, sur les traces de la ligne claire, au Grand Palais (Paris)

Grand Palais

Hergé, qui n’était jamais en panne d’inspiration en matière de narration, aurait-il aimé l’idée ? La principale caractéristique de l’exposition qui lui est consacrée au Grand Palais est en effet de raconter son parcours artistique « à l’envers » sur le plan chronologique. La première salle explore sa fascination pour la peinture à travers une sélection de toiles qu’il a lui-même réalisées dans les années 1960. La dixième et dernière pièce montre des croquis exécutés durant son adolescence, alors qu’il était scout, période qui précède la naissance de Tintin dans Le Petit Vingtième.

Entre les deux, l’accrochage décline, par thèmes, l’aventure esthétique et la fabrique d’un univers à nul autre pareil. Pléthorique en originaux, exhaustif sur le plan éditorial, relativement complet sur la biographie du maître bruxellois, le parcours est moins destiné aux visiteurs de 7 ans qu’aux esthètes de 77 ans. Ces derniers se délecteront de pièces remarquables, notamment un ensemble de douze planches crayonnées qui permettent de vérifier que la ligne claire chère à Hergé était le fruit d’un travail acharné. Frédéric Potet

Grand Palais, Paris 8e, tous les jours, sauf le mardi, de 10 heures à 20 heures (jusqu’à 22 heures le mercredi), jusqu’au 15 janvier. Tarifs de 9 € à 13 €. www.grandpalais.fr

Des trésors de bijoux, à l’Institut du monde arabe (Paris)

IMA

Les lourds bijoux d’argent provenant des trois pays du Maghreb, exposés au Musée de l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, sont un trésor en péril sauvé de justesse. Pour la première fois réunies et montrées, ces parures imposantes ont été collectionnées, pendant trente ans, au fil de leurs voyages au Maroc, en Algérie et en Tunisie, par Jean-François et Malou Bouvier, amoureux des rives de la Méditerranée. Ces bijoux représentent la carte d’identité des femmes qui les ont portés, leur statut, leur fortune, et une sorte d’assurance-vieillesse. Reçus en dot lors du mariage, les bracelets, colliers, plastrons, pendentifs restent la propriété de l’épouse ; en cas de divorce, d’abandon ou de séparation, elles les gardent. Une armure protectrice aussi, qui chasse le mauvais œil. Près de deux cent trente pièces sont présentées à l’IMA. Toute la symbolique d’une culture vernaculaire à redécouvrir. Florence Evin

Musée de l’Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, Paris 5e. Du mardi au jeudi de 10 à 18 heures, vendredi, de 10 heures à 21 h 30, samedi, dimanche et jours fériés, de 10 heures à 19 heures. De 4 à 8 euros. Jusqu’au 8 janvier.

Dans les pas d’Oskar Schlemmer, au centre Pompidou-Metz

« Figure et réseau de lignes dans l’espace » d’Oskar Schlemmer, 1924. | OSKAR SCHLEMMER

Le Centre Pompidou-Metz distingue le plasticien-chorégraphe allemand Oskar Schlemmer (1888-1943) en lui consacrant une exposition dans une immense et unique salle de 1 000 m2. Le charme de cette bulle d’atmosphère zébrée de lumière agit en quelques secondes. L’exposition est orchestrée autour d’un catwalk installé en biais qui impulse un rythme visuel fort. Plus d’une vingtaine de costumes mirifiques, dont certains tournant sur eux-mêmes, conçus par ce plasticien-théoricien-chorégraphe, figure du Bauhaus dans les années 1920, se succèdent pour un défilé saisissant.

Contempler de près les sculptures de formes et les matériaux multicolores est un régal. Robe en cercles de métal, tunique façon abat-jour à longues franges, la griffe géniale de cet expérimentateur, qui a entre autres influencé Philippe Decouflé, s’amuse des contraintes plastiques sur les corps. Ses nombreux dessins, gouaches, peintures, profitent d’un accrochage serré sur deux rangs. L’ensemble surfe sur les formats avec des projections en grand du Ballet triadique (1922), œuvre magistrale de Schlemmer, tout en conservant une circulation fluide grâce à l’ampleur du lieu. Rosita Boisseau

Louvre Lens, galerie 2, jusqu’au 16 janvier, tous les jours, sauf mardi de 10 heures à 18 heures. De 7 à 12 euros. Gratuit pour les moins de 26 ans.

Le renouveau de l’art albanais, au MuCEM (Marseille)

« In Your Vein » d’Enkelejd Zonja, 2011. | ENKELEJD ZONJA

Invitée par le MuCEM de Marseille pour une exposition collective, « Albanie, 1207 km Est », la nouvelle génération d’artistes plasticiens albanais pose sur son présent guère enchanté un regard aussi critique que sur la très sévère dictature d’Enver Hoxha. Un demi-siècle, ou presque, durant lequel tout artiste qui osait lever un sourcil un brin sceptique finissait dans les geôles du régime. Seul dogme dont pouvaient alors se prévaloir peintres et sculpteurs : le réalisme socialiste. Majestueux prolétaires saisis dans le feu de l’action et de l’acier, travailleurs réjouis de l’érection d’un barrage hydraulique, regard tourné vers l’avenir, silhouette magnifiée par la contre-plongée… Cet imaginaire collectif hante encore les jeunes artistes nés avec la démocratie.

Ainsi du peintre Enkelejd Zonja, né en 1979 : dans ses toiles couleur sang, des bambins endoctrinés, foulard rouge au cou, apparaissent comme sacrifiés à la nation. Adrian Paci, né en 1969 – l’un des vétérans de cette scène, dont les vidéos passent de biennale en biennale et que l’on peut voir au MuCEM – a fait de sa maison de Shköder une Art House, une résidence d’artistes. « Nous ne devons rien attendre de l’Etat ! Dans notre Art House, les étudiants peuvent rencontrer des pointures, et grandir ensemble. C’est un générateur d’énergie », déclare ce fils de peintre. Et de l’énergie, la scène albanaise en a à revendre. Emmanuelle Lequeux

MuCEM, 7, promenade Robert-Laffont, 13002 Marseille. Tous les jours, sauf mardi de 11 à 18 heures. De 5 euros à 9,50 euros. Jusqu’au 2 janvier. Mucem.org