Le gouvernement birman a annoncé lundi 2 janvier l’arrestation de plusieurs policiers après la diffusion d’une vidéo montrant des agents des forces de l’ordre s’en prendre physiquement à des villageois rohingya, minorité musulmane, dans le nord-ouest du pays, dans l’Etat Rakhine (ou Arakan).

L’armée s’est déployée dans la région il y a trois mois, à la suite d’attaques de plusieurs postes frontières qui ont coûté la vie à neuf policiers le 9 octobre. Depuis, 34 000 musulmans rohingya ont dû prendre la fuite, selon les Nations unies. Arrivés au Bangladesh, ces réfugiés ont décrit les exactions de l’armée birmane, dénonçant des viols collectifs, des meurtres et des actes de torture…

Jusqu’ici le gouvernement avait toujours rejeté ces allégations. Aung San Suu Kyi, conseillère spéciale pour l’Etat et, de facto, à la tête du gouvernement, avait même récemment affirmé que la situation était « sous contrôle » et demandé à la communauté internationale de cesser de nourrir les « feux du ressentiment ». Mais pour la première fois depuis le début des troubles en octobre, le gouvernement a ouvert lundi une enquête.

Une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux et diffusée par les chaînes birmanes montre plusieurs policiers frapper deux villageois durant un raid au cours duquel plusieurs dizaines de Rohingya sont alignés pour être interrogés. « Ceux qui ont été identifiés ont été arrêtés », ont déclaré les services d’Aung San Suu Kyi.

Des musulmans apatrides dans un pays à plus de 90 % bouddhiste

Le gouvernement a nommément cité quatre officiers et notamment l’auteur de la vidéo où l’on voit des policiers frapper un jeune homme assis par terre mains sur la tête, aux côtés d’autres villageois. La vidéo montre ensuite trois officiers en uniforme battre à l’aide d’un bâton l’un des hommes au sol puis lui asséner des coups de pied au visage.

Les autorités ont confirmé l’authenticité du document, qui a été filmé selon elles le 5 novembre dans le nord de l’Etat Rakhine. Depuis octobre, des dizaines de vidéos ont été publiées sur les réseaux sociaux, mais la zone étant interdite d’accès aux médias et aux organisations non gouvernementales, les informations sont très difficiles à vérifier.

« Malheureusement, la scène [de la vidéo] n’est pas unique ou isolée », estime Matthew Smith, directeur général de Fortify Rights, une association locale :

« Il est important que le gouvernement ait reconnu la vidéo, mais reste à voir ce qui va se passer maintenant. L’impunité règne toujours dans l’Etat Rakhine. »

Considérés comme des étrangers en Birmanie, pays dont les habitants sont à plus de 90 % bouddhistes, les Rohingya musulmans sont traités en apatrides même si certains vivent dans le pays depuis des générations. Ils n’ont accès ni au marché du travail, ni aux écoles, ni ux hôpitaux, et la montée du nationalisme bouddhiste ces dernières années a attisé l’hostilité à leur encontre.

La semaine dernière, plus d’une douzaine de lauréats du prix Nobel de la paix ont demandé au Conseil de sécurité des Nations unies une intervention pour éviter cette « tragédie humaine, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité ». Le commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Zeid Ra’ad Al-Hussein, avait qualifié en décembre la réaction du gouvernement birman d’« irréfléchie, contre-productive et insensible ». Le premier ministre malaisien avait évoqué un « génocide » de la population musulmane rohingya et pressé Aung San Suu Kyi d’agir.