Des militants pakistanais manifestent, le 9 décembre 2016 à Karachi, contre la persécution des Rohingya en Birmanie. | RIZWAN TABASSUM / AFP

Depuis l’indépendance de la Birmanie, en 1948, les Rohingya font face à une discrimination constante. Une loi promulguée en 1982, quand la junte militaire était encore au pouvoir, a eu pour conséquence le renforcement de leur marginalisation et l’ancrage « légal » du déni de nationalité qui fait de la plupart d’entre eux des individus sans identité. On évalue leur nombre en Arakan à quelque 1,3 million. Ils sont environ un autre million en exil.

Depuis de violentes émeutes entre Rohingya et Arakanais bouddhistes, en 2012, qui avaient fait plus de 200 morts, une centaine de milliers de ces musulmans sont parqués dans des camps de déplacés près de la capitale arakanaise de Sittwe. Interdits de séjour dans cette ville où ils formaient il y a encore cinq ans une importante communauté.

Le terme même de Rohingya est contesté et son utilisation est politiquement connotée. Il aurait été pour la première fois mentionné en 1799 par un géographe et botaniste écossais, Francis Buchanan-Hamilton : un peuple nommé « Rooinga » vit dans le nord de l’Arakan, écrivit-il. Il a ensuite disparu pour n’être réutilisé qu’à partir des années 1970 par des activistes « rohingya » désireux de forger une identité ethnique singulière. Et de contrer ainsi le terme de « Bengali » dont se servent, presque comme une injure, les Bamars, l’ethnie principale de Birmanie, pour désigner cette population musulmane effectivement originaire du Bengale. Pour les militants de la cause des Rohingya, ces derniers auraient cependant des origines plus complexes, qui pourraient être aussi persanes, turques, arabes, pachtounes…

Progression vertigineuse

A l’origine, ces musulmans du nord de l’Arakan sont venus du Bengale après la première guerre anglo-birmane et les débuts de l’occupation britannique de cette région en 1826. A une époque où les musulmans étaient encore très peu nombreux dans cette zone, les Anglais vont encourager les populations du Bengale oriental à s’implanter en Arakan. Ces derniers seront attirés par la commercialisation du riz et le dynamisme du port d’Akyab, la future Sittwe. La plupart d’entre eux vont ainsi émigrer depuis l’est du Bengale à majorité musulmane qui deviendra en 1947 le Pakistan oriental puis, après la sécession de 1971, le Bangladesh. Les Rohingya continuent de parler un dialecte proche de celui de Chittagong, la grande ville portuaire du sud du Bangladesh.

C’est donc à l’époque coloniale que les graines de la discorde entre musulmans et bouddhistes ont été semées, les seconds devenant en peu de temps minoritaires au profit des musulmans dans plusieurs districts frontaliers. L’historien Jacques Leider, spécialiste de l’Arakan, rappelle que, selon un recensement britannique datant de 1869, les « mahométans » représentaient seulement 5 % de la population de l’Arakan. En 1912, un autre recensement montre une progression démographique vertigineuse des « membres de la communauté des musulmans de langue bengalie » : 30 % de la population. Presque tous dans les districts nord où la répression fait rage aujourd’hui.

S’ajoute à cela un autre arrière-plan historique d’importance, qui explique aussi l’hostilité particulière des Arakanais bouddhistes à l’égard des musulmans : en 1784, les rois birmans avaient remporté la victoire contre le royaume de l’Arakan, alors indépendant du reste de la Birmanie. Quarante-deux ans plus tard, les Anglais débarquèrent, après avoir à leur tour vaincu les Birmans dans la région. Il en résultera, pour les Arakanais, le sentiment d’avoir été floués par une Histoire au terme de laquelle ils ont été pris en tenaille entre, à l’ouest, les musulmans venus du Bengale et, à l’est, les Birmans qui leur ont imposé leur « règne ».