Le fleuve Barada, à Damas, le 3 janvier. Depuis le 22 décembre 2016, les robinets des habitants de Damas sont à sec. | LOUAI BESHARA / AFP

Les négociations d’Astana, parrainées par Moscou et Ankara et censées ouvrir la voie à un règlement politique en Syrie, verront-elles le jour fin janvier ? Après avoir déjà adressé un ultimatum, des rebelles ont formulé une nouvelle mise en garde. Dénonçant les offensives menées par l’armée, malgré l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu, une dizaine de groupes insurgés ont gelé, mardi 3 janvier, leur participation aux discussions pour préparer la rencontre prévue au Kazakhstan.

Fruit d’un accord russo-turc, la trêve, effective depuis le 30 décembre 2016 à minuit, a permis une baisse en intensité des violences. Le nombre des victimes civiles s’est aussi réduit. Mais plusieurs fronts chauds persistent. C’est dans les environs de Damas que les forces du régime commettent, selon les insurgés, les entorses les plus sérieuses à l’accord parrainé par la Russie et la Turquie. La région de Wadi Barada, située à moins de vingt kilomètres au nord-ouest de Damas et où se trouvent les principales sources d’eau qui alimentent la capitale, est la cible d’une vaste offensive de l’armée, appuyée par le Hezbollah libanais.

Mardi 3 janvier au soir, les tirs d’artillerie et les bombardements aériens contre les localités encore tenues par les rebelles dans cette zone se sont intensifiés. Des barils d’explosifs ont aussi été largués par les forces du régime, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Des renforts de troupes ont été envoyés dans la zone. « Toute tentative du régime ou de ses alliés de gagner du terrain est une violation de l’accord », écrivent les groupes insurgés qui ont suspendu leur participation aux discussions liés à Astana. On compte, parmi eux, deux formations puissantes dans la région de Damas, Jaich Al-Islam et Faylaq Al-Cham.

La reconquête de la région de Wadi Barada est une priorité pour le pouvoir, qui cherche à sécuriser les environs de la capitale. La zone a longtemps fait l’objet d’un accord tacite entre rebelles et régime. Mais depuis l’été, l’armée et le Hezbollah ont resserré leur étau autour de cette enclave, qui compterait encore entre 50 000 et 100 000 habitants.

Dans les localités voisines d’Al-Hameh et de Qoudsaya, les autorités ont déjà imposé des « accords » de réconciliation : en octobre, des rebelles et des habitants avaient été évacués vers la région d’Idlib, principal fief de la rébellion dans le nord du pays. Le régime aurait cherché à obtenir d’autres redditions à Wadi Barada, refusées par les insurgés. Après des accrochages intermittents à l’automne, l’armée et le Hezbollah ont lancé une offensive d’envergure en décembre 2016, quelques jours avant l’entrée en vigueur de la trêve.

Trêve fragile

Pour justifier la poursuite des affrontements malgré le cessez-le-feu, les médias progouvernementaux et des responsables militaires affirment que des combattants du Front Fatah Al-Cham, mouvement djihadiste issu d’Al-Qaida et exclu de la trêve, sont présents dans la zone de Wadi Barada. C’est aussi ce qu’affirme l’OSDH. Sur place, les militants et les groupes armés démentent toute présence djihadiste.

Conséquence directe des combats de Wadi Barada, les robinets des habitants de Damas, déjà habitués aux pénuries chroniques, sont à sec depuis le 22 décembre 2016. Régime et rebelles se rejettent la responsabilité de cette pénurie. Selon Damas, les insurgés ont contaminé au diesel les sources d’eau potable, avant de les couper. Les militants de l’opposition de Wadi Barada accusent de leur côté les forces du régime d’avoir bombardé ces infrastructures. Ils appellent à une enquête internationale sur place.

Ni Moscou, soutien du régime de Bachar Al-Assad, ni Ankara, parrain des rebelles, n’ont jusqu’ici fait de déclaration officielle au sujet des violations de la trêve. L’agence de presse officielle du régime de Damas, SANA, cite toutefois le centre russe basé à Hmeymin, sur la côte méditerranéenne, faisant état de violations commises par les rebelles. Les opposants de la Coalition nationale syrienne, la principale plate-forme de l’opposition basée en Turquie, dénoncent de leur côté de multiples accrocs imputables au régime.

Chaque camp sait la trêve fragile. Les modalités de contrôle du cessez-le-feu, signées par les belligérants, n’ont pas été communiquées. Le flou continue également d’entourer les groupes rebelles concernés par la trêve. Et la puissance du Front Fatah Al-Cham, dans le nord de la Syrie, complique son application. Les formations insurgées sont sommées de prendre leurs distances avec l’organisation djihadiste, mais en ont-elles les moyens ?

Quant aux offensives poursuivies par l’armée, elles ne sont pas vraiment une surprise. Selon un journaliste du camp loyaliste, l’armée, épuisée, peut compter sur l’accalmie relative pour se concentrer sur des poches considérées comme prioritaires, qu’elle juge exclues du cessez-le-feu. « De nombreux Syriens ont espéré que cette trêve serait plus durable que les précédentes, estime Hossam Al-Mara’i, ancien porte-parole de l’Armée syrienne libre, la rébellion modérée. Sans une intervention ferme de la Russie sur ses alliés, elle risque de vaciller. »