Laurent Grasso sur le tournage d’« Élysée ». | Laurent Grassot Studio

Laurent Grasso n’a pas froid aux yeux. Le plasticien français a raison, il obtient (presque) toujours ce qu’il veut. En 2005, le Vatican lui offre un accès aux obsèques de Jean Paul II et au ballet des pèlerins endeuillés. Quatre ans plus tard, le Palais de Tokyo, à Paris, lui prête son toit pour y installer un restaurant de douze couverts, dont les murs extérieurs en acier diffusent une lumière violacée à la tombée de la nuit. Et du samedi 7 au 14 janvier, il présente à la galerie Perrotin, à Paris, une vidéo de seize minutes, tournée dans le bureau présidentiel du palais de l’Élysée. La caméra filme au plus près les éléments symboliques comme les plus insignifiants, du bureau Régence au papier à en-tête, de la collection de voitures miniatures aux serrures ouvragées des portes.

Si la pièce, connue sous le nom de salon Doré, est accessible lors des Journées du patrimoine, impossible d’y pénétrer en temps normal. Encore moins d’y venir avec deux caméras 35 mm. Dans cette vaste pièce avec vue sur le parc, le chef de l’État reçoit ses ministres et les hôtes de marque. C’est là que se trament petites ou grandes réformes, là que se décide l’avenir de la nation. Dans ce salon Doré, plusieurs strates d’histoire, régalienne et républicaine, se superposent, de Madame de Pompadour au Général de Gaulle, premier président à y installer son bureau. De quoi taquiner la curiosité de Laurent Grasso, qui aime révéler dans ses œuvres les ressorts du pouvoir et l’esthétique de la manipulation, qu’elle soit militaire, politique, ou religieuse.

Traquer l’invisible derrière les ors

Au printemps 2015, l’artiste se rapproche des conseillers de François Hollande, Gaspard Gantzer et Pierre-Louis Basse. Le réalisateur Yves Jeuland a certes déjà saisi le quotidien présidentiel pendant six mois, pour le documentaire Un temps de président (diffusé sur France 3 en septembre 2015). Mais les scènes de la vie ordinaire de François Hollande et la plongée dans le marigot politique ne passionnent guère Laurent Grasso. Son objectif est tout autre : filmer le bureau présidentiel « comme une grande peinture d’histoire », saisir l’impermanence du pouvoir, capturer l’esprit du lieu derrière les ors et la patine, traquer l’invisible, voire les vieux fantômes.

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Laurent Grasso s’est efforcé de capturer l’esprit du lieu, derrière les ors et la patine. | Laurent Grasso Studio, Courtesy Galerie Perrotin

L’état-major de François Hollande se montre enthousiaste. Le chef de l’État, qu’il rencontre pendant une heure en juillet 2015, lui donne son feu vert. Les repérages sont lancés dans la foulée en compagnie d’Émilie Lang, alors conseillère presse de l’Élysée. La fenêtre de tir est courte : profitant d’un déplacement présidentiel, l’équipe n’aura que quelques heures pour filmer. Il faut donc prévoir les mouvements de caméra, ne rater aucun objet dans un espace où tout peut devenir symbolique, de la tapisserie représentant Don Quichotte au lustre vacillant, symbole de la fragilité du pouvoir.

Tournage délicat après les attentats

Rendez-vous est finalement pris pour tourner le 16 novembre. Mais les attentats, survenus trois jours plus tôt à Paris, changent la donne. Le tournage est annulé. « Je ne savais plus s’il fallait continuer, si un tel projet faisait encore sens dans un contexte de deuil et d’état d’urgence », confie l’artiste, qui attend un mois avant de repartir à la charge. Finalement, une nouvelle date de tournage est fixée au 25 janvier 2016. Impossible toutefois de faire comme si de rien n’était. L’Élysée est sur les dents. La veille, le matériel est soumis au contrôle antidéminage. Traînant négligemment sur le bureau, le discours présidentiel annoté par Hollande fait référence aux attentats. La « Une » de Libération, sur laquelle s’attarde la caméra, porte sur l’état d’urgence. Le tournage débute à 6 heures. L’équipe aura onze heures pour réaliser travellings et gros plans.

Laurent Grasso n’entend pas en rester là. Il espère filmer prochainement le protocole d’un dîner officiel présidentiel. Plus encore, il rêve de réitérer l’exercice dans le bureau Ovale de la Maison Blanche. François Hollande lui avait promis d’en toucher un mot à Barack Obama. N’allez surtout pas lui dire qu’il sera compliqué de convaincre Donald Trump, lequel, à ce jour, a montré peu d’estime pour le monde de l’art. La réponse fuse : « J’ai obtenu des choses plus difficiles. »

« Élysée », de Laurent Grasso, du 7 au 14 janvier. Galerie Perrotin, 10, impasse Saint-Claude, Paris 3e. www.perrotin.com