Leur colère couvait depuis des mois. Elle s’est réveillée dans la nuit du jeudi 5 au vendredi 6 janvier à Bouaké, l’ancienne « capitale » de la rébellion ivoirienne, sous la forme de crépitements d’armes à feu. Près de six ans après la fin de la guerre, ceux qui furent les petites mains du conflit ont fait entendre une fois de plus leur mécontentement, leur sentiment d’avoir été abandonnés par un pouvoir qu’ils ont contribué à installer.

Selon les témoignages, des ex-combattants démobilisés et des soldats de l’armée de Côte d’Ivoire se sont soulevés pour demander le versement « des primes impayées » et dénoncer « des promesses salariales non tenues ». Après s’être emparés d’armes dans la poudrière du troisième bataillon, le principal camp militaire, et dans des commissariats, ces mutins ont bloqué les accès nord et sud de la deuxième ville de Côte d’Ivoire. « Ils ont fermé les deux corridors et sont un peu partout dans la ville », racontait vendredi après-midi un habitant. « Ils se sont calmés. Les taxis circulent à nouveau mais la population a peur et est restée terrée chez elle », ajoutait alors un ex-rebelle devenu agent de l’état. Dans ce contexte tendu et incertain, boutiques, administrations et écoles ont gardé portes closes vendredi, même si aucune violence contre les populations n’a été signalée.

Abidjan, où « les soldats ont été contenus dans les casernes » d’après un officier, est resté calme, mais le mouvement s’est dans la journée étendu à Korhogo, au nord du pays, à Daloa, au centre-ouest, et à Daoukro, au centre, le fief de l’ancien président Henri Konan Bédié, où se trouvait la veille le chef de l’Etat Alassane Ouattara. « Ils sont arrivés [vendredi matin] à la mairie et ont fait descendre le drapeau. Ils ont pris des engins pour barrer la route mais il n’y a pas eu de tirs, ni d’affrontement », détaille un membre de l’équipe municipale à Korhogo.

« Dans la matinée, une quinzaine d’entre eux est sortie en moto du camp militaire et a effectué quelques tirs en l’air mais, cet après-midi, c’est calme et les barrages ont été levés », explique de son côté Boubacar Koné, le député de Daloa, sans être en mesure de déterminer avec certitude si cette grogne ne se fonde que sur des revendications corporatistes ou si des mains politiques l’attisent en coulisses.

Arriérés de salaires

Ce soulèvement intervient en effet alors que la Côte d’Ivoire se prépare à un large remaniement de ses institutions avec un nouveau gouvernement, une nouvelle Assemblée et la création d’un poste de vice-président. Des personnalités de l’ex-rébellion se sentant marginalisées pourraient-elles trouver un intérêt à susciter du désordre ? Une source à Bouaké, proche des militaires en colère, le dément. « Ce n’est pas politique. Ils revendiquent leur droit et se plaignent de la manière dont on les traite. Seuls les chefs mangent et les petits vivent dans la misère. Après la rébellion, des places leur avaient été promises, mais elles ont été données à d’autres, alors ils se sentent lésés », dit-elle sous couvert d’anonymat.

Reste que les revendications exprimées semblent irréalistes. Les protestataires exigent notamment pour chacun d’entre eux entre 5 et 10 millions de francs CFA (entre 7 622 et 15 244 euros), selon les sources, ainsi qu’une villa. Vendredi après-midi, le ministère de la défense a fait savoir que deux officiers « sont entrés en discussions avec le groupe » qui leur a présenté ses doléances. Parallèlement, le ministère a annoncé la « mise en alerte de l’ensemble des troupes », le « renforcement de la sécurité des emprises militaires » et demandé « à tous les soldats de garder leur calme et de rentrer dans les casernes, en vue de permettre la recherche de solutions durables ». En novembre 2014, la Côte d’Ivoire avait déjà connu un mouvement de grogne des anciens combattants de la rébellion intégrés à l’armée au sujet des arriérés de soldes que le président Alassane Ouattara s’était ensuite engagé à verser.

Quelles que soient les raisons qui ont cette fois poussé les soldats à prendre la rue, cette colère intervient dans un climat social agité. Les syndicats de fonctionnaires ivoiriens ont lancé un mot d’ordre de grève pour la semaine prochaine. Alors que la santé économique de leur pays ne cesse d’être vantée par les autorités et les partenaires internationaux, cette plateforme syndicale demande notamment le versement d’arriérés de salaires.