COLCANOPA

Gare aux turbulences ! Après s’être envolé en quelques jours au-delà de 1 000 dollars (944 euros), le bitcoin – la plus célèbre des devises numériques – s’est effondré jeudi 5 janvier de plus de 20 % en quatre-vingt-dix minutes. La cryptomonnaie s’est ensuite ressaisie et évoluait vendredi matin autour de 980 dollars. Mais ce trou d’air vient tempérer l’enthousiasme des thuriféraires du bitcoin, porté à son comble quand celui- ci a atteint plus de 1 160 dollars mercredi, selon les données de l’agence financière Bloomberg. Du jamais-vu depuis son lancement en 2009.

« Ce dévissage vient rappeler à bon escient que le bitcoin est très risqué malgré son potentiel et sa technologie unique, souligne Mark Williams, professeur de finance à l’université de Boston et spécialiste des devises digitales. Le bitcoin n’est en réalité pas une vraie monnaie, mais une ressource virtuelle soumise à une forte spéculation et donc, potentiellement, à des mouvements violents à la hausse et à la baisse. »

Régie par une vaste communauté d’internautes et échappant à l’autorité des banques centrales, la devise numérique est loin d’être un placement de tout repos. Alors qu’elle avait flambé fin 2013, dépassant une première fois le seuil des 1 000 dollars, elle a perdu les mois suivants plus de 80 % de sa valeur. Début 2014, MtGox, la principale plate-forme d’échange de bitcoins, s’est déclarée en faillite, après une attaque informatique ayant dépouillé les milliers d’utilisateurs qui y avaient placé leur argent.

Engouement en Chine

Passé ce coup de tabac, le bitcoin a finalement résisté. Mieux, il n’a cessé de s’apprécier en 2016 au point de s’imposer comme l’actif financier ayant affiché la meilleure performance annuelle, toutes catégories confondues (devises, indices boursiers et obligataires, or, pétrole…). Sa valeur en dollars a crû de 123 %. Une envolée qui, à en croire les experts, doit beaucoup aux déboires rencontrés par certaines monnaies traditionnelles dans de gros pays émergents.

Le plan de démonétisation en Inde, où les plus grosses coupures ont été supprimées brutalement en novembre au nom de la lutte contre la corruption, a sans doute participé à l’attractivité du bitcoin. Tout comme l’hyperinflation au Venezuela, où le volume d’échanges hebdomadaire dans la monnaie numérique aurait été multiplié par quatre l’an passé selon le site spécialisé Coin Dance.

Mais c’est surtout en Chine qu’a explosé l’engouement pour la devise électronique. L’environnement y est propice. D’abord parce que la monnaie nationale, le yuan, n’a cessé de se déprécier ces derniers mois (– 6,5 % face au dollar en 2016). Les diverses restrictions imposées par Pékin pour limiter les sorties de capitaux ont fait apparaître le bitcoin comme une alternative pour convertir des yuans en monnaie étrangère. Elle aurait aussi aiguisé l’appétit des boursicoteurs chinois pour des placements spéculatifs. Résultat, les trois principales plates-formes chinoises d’échange en bitcoins concentrent aujourd’hui plus de 95 % des volumes mondiaux.

Valeur refuge

« C’est sans aucun doute la Chine qui donne la tendance sur le marché », confirme Marco Krohn, le directeur financier de Genesis Mining, un site basé à Hongkong qui génère des bitcoins. Les analystes jugent d’ailleurs que c’est de l’ex-empire du Milieu que serait partie la secousse de jeudi. « Il y a de plus en plus de spéculations sur le fait que les autorités chinoises pourraient essayer de freiner l’utilisation du bitcoin comme moyen de contourner les contrôles sur les sorties de capitaux », a expliqué à Bloomberg Steven Englander, un analyste de Citigroup.

Pour les partisans de la devise virtuelle, cette récente convulsion ne doit pas masquer ses succès. « Cela fait longtemps que je m’occupe du bitcoin, et le nombre d’investisseurs professionnels qui le prennent au sérieux aujourd’hui est sans précédent », affirme Marco Krohn. Certains n’hésitent pas à en faire une valeur refuge d’un nouveau genre. « Un substitut numérique à l’or », décrit Pierre Noizat, cofondateur de Paymium, plate-forme d’échange d’euros en bitcoins. Généré par un programme informatique, le bitcoin n’a de fait aucune « exposition » géopolitique.

Mais si les adeptes du bitcoin se félicitent de voir de plus en plus de marchands accepter des transactions dans la e-devise, sa volatilité est un handicap. Et sa place demeure marginale sur le marché des moyens de paiement. Avec une valeur commerciale estimée aujourd’hui autour de 16 milliards de dollars, l’e-devise reste très loin d’un mastodonte comme Mastercard, dont la capitalisation dépasse 116 milliards de dollars.

Le Bitcoin en bref

Création Le bitcoin tire son origine d’un logiciel conçu en 2009 par un ou plusieurs informaticiens dissimulés sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto.

Fabrication L’émission des bitcoins – le « minage » – est pilotée par un programme informatique qui en génère automatiquement et en nombre décroissant, jusqu’à ce que leur nombre, aujourd’hui de 16 millions, atteigne 21 millions.

Usage La e-devise peut-être échangée contre des services, des marchandises ou d’autres devises grâce à un système de transaction sans frais. Pour ses détracteurs, il est l’instrument de trafics illégaux du fait de l’anonymat des paiements.