François Bayrou et François Fillon, à Paris, le 19 septembre 2016. | ERIC FEFERBERG / AFP

A quoi joue François Bayrou dans ses négociations avec François Fillon ? Le président du MoDem réserve sa réponse sur son éventuelle candidature à la présidentielle et continue de critiquer le candidat de la droite, comme il le fait aujourd’hui dans une interview au Monde où il juge que « les orientations de François Fillon inquiètent ». Alexandre Lemarié, journaliste au Monde chargé du suivi de la droite a répondu aux questions des internautes à propos de la stratégie du dirigeant centriste.

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Nicolas : Bayrou ne risque-t-il pas une nouvelle traversée du désert s’il se présente à la présidentielle ? Le centre étant pour l’instant occupé par Macron.

Alexandre Lemarié : La position de François Bayrou est en effet peu confortable à la veille de la présidentielle car l’issue de la primaire à droite, couplée à l’émergence de Macron, a bousculé les plans du président du MoDem. Pour la primaire de la droite, M. Bayrou – comme beaucoup d’autres – n’avait prévu que deux scénarios : une victoire d’Alain Juppé, qu’il aurait soutenu pour la présidentielle, ou de Nicolas Sarkozy, qu’il aurait alors affronté…

La victoire de François Fillon à la primaire, qu’il n’avait pas prévue, l’a manifestement déstabilisé et le fait hésiter sur la stratégie à tenir : a-t-il intérêt à se présenter pour la quatrième fois d’affilée à la présidentielle, au risque de faire un petit score, ou a-t-il plus intérêt à rallier M. Fillon ? Tel est son dilemme actuel.

Philippe : L’attente de François Bayrou est-elle due à une indécision personnelle ou relève-t-elle d’une stratégie politique ?

Son indécision semble avant tout relever d’une stratégie politique. Ces derniers temps, le président du MoDem a vivement critiqué le projet de François Fillon qu’il juge trop libéral. C’est encore le cas dans l’entretien que publie Le Monde. Sa stratégie semble la suivante : mettre la pression à Fillon pour qu’il adoucisse son projet, afin de le rendre compatible avec son logiciel centriste… Ce qui pourrait permettre à M. Bayrou de justifier son futur ralliement, en se targuant, dans ce cas, d’avoir réussi à « recentrer » le projet de M. Fillon.

Même s’il laisse toujours planer le doute sur son éventuelle quatrième candidature à la présidentielle, cela semble être son intention finale. M. Bayrou l’indique lui-même dans l’entretien donné au Monde : « L’idée de rassemblement m’intéresse, à la condition que le projet vaille la peine. »

Lemonde Président : La candidature de François Bayrou ne serait-elle pas finalement une bonne nouvelle pour François Fillon ? Cela permettrait d’affaiblir Macron, non ?

Cette théorie ne paraît pas absurde, dans le sens où Bayrou pourrait grappiller des points à Macron dans l’électorat centriste et ainsi affaiblir ce dernier. Mais à l’heure actuelle, on constate qu’une candidature de Bayrou aurait surtout pour effet d’affaiblir la candidature de Fillon au premier tour de la présidentielle.

Si Bayrou se présente, Fillon obtiendrait entre 23 % et 25 % des voix au premier tour, selon un sondage Elabe pour Les Echos et Radio classique, publié jeudi 5 janvier. En revanche, si le centriste ne se présente pas, Fillon réaliserait un score plus élevé, en recueillant entre 26 % à 28 % des voix.

Ëol : M. Bayrou ne pourrait-il pas s’allier avec M. Macron ?

Même si cette éventualité ne peut pas être totalement écartée, elle paraît hautement improbable. Pour une raison simple : François Bayrou n’a aucun intérêt à laisser Macron absorber son fonds de commerce. Le leader du MoDem a bien saisi la menace que fait peser l’ex-ministre de l’économie sur l’existence de son parti. Il a donc décidé de lui déclarer la guerre, en le présentant comme le candidat des « forces de l’argent ». Dans l’entretien qu’il a accordé au Monde, il se montre encore critique contre le leader du mouvement En marche !, en le jugeant pas à la hauteur pour exercer la fonction de chef de l’Etat.

Autre élément qui laisse penser qu’une alliance entre eux est improbable, M. Bayrou exclut toute alliance avec un représentant de la gauche ou de la politique gouvernementale dans son entretien au Monde, en déclarant : « La France a besoin d’alternance. Les cinq années que nous venons de vivre ont conduit le pays de désillusions en déceptions. »

David : Bayrou a-t-il toujours une influence potentielle sur le résultat de la présidentielle, au vu des intentions de vote plus faibles qu’en 2007 ou 2012 et la présence de Macron ?

Même s’il est isolé et dispose de peu de troupes, François Bayrou garde une influence sur l’élection suprême car il dispose d’une grande notoriété, qui lui assure un socle de voix non négligeable pour une présidentielle. Aujourd’hui, les sondages d’intentions de vote le donnent à près de 7 %. C’est certes beaucoup moins que le très bon score qu’il avait réalisé en 2007 (18,5 %) mais cela représente un vivier de voix important dans l’optique de la prochaine présidentielle qui s’annonce serrée. Car s’il se présente, ses voix pourraient manquer à Fillon pour se qualifier au second tour.

Et à l’inverse, s’il ne se présente pas, ses voix pourraient renforcer Macron et lui permettre d’accéder au second tour… Une certitude : à la différence de 2007, où il apparaissait comme un candidat capable de déstabiliser les favoris (Sarkozy et Royal) et éventuellement s’inviter au second tour, le centriste n’a désormais plus que son pouvoir de nuisance à faire valoir. C’est pour cela qu’il menace Fillon de se présenter : pour mieux défendre ses intérêts en échange de son renoncement.

Théobald : Au-delà du programme, François Bayrou semble détester François Fillon. Pourquoi ?

Non, c’est faux. Leur désaccord actuel porte avant tout sur des divergences idéologiques. Bayrou trouve que Fillon a un projet trop libéral, susceptible de creuser les inégalités. Mais les deux hommes se sont toujours respectés. Autant Bayrou n’a jamais pu voir Sarkozy, avec lequel les relations étaient glaciales depuis dix ans, autant il a toujours considéré Fillon et Juppé comme des hommes politiques respectables, avec lesquels un dialogue constructif a toujours été possible.

Bayrou et Fillon se sont notamment vus en décembre en tête-à-tête pour discuter. En résumé, Bayrou apprécie l’homme mais pas son projet. « On a toujours eu de l’estime l’un pour l’autre et entretenu une relation de confiance. Je l’ai connu quand il était avec Philippe Séguin dans la ligne du gaullisme social », rappelle aujourd’hui le centriste. Fillon, de son côté, assure qu’il « respecte » Bayrou.

Antoine : Bayrou n’est-il pas en train de négocier avec Fillon pour avoir des circonscriptions aux législatives voire un ministère en échange de sa non-candidature ?

Cette hypothèse paraît probable car les négociations autour des investitures attribuées par le parti Les Républicains (LR) battent leur plein en coulisses car elles doivent être entérinées lors du conseil national de LR, fixé le 14 janvier. La période est donc cruciale pour négocier des sièges de députés pour ses troupes. Et la tactique visant à mettre la pression à un candidat pour obtenir des postes est classique…

Après, au-delà de la théorie, rien ne permet d’affirmer que Bayrou campe sur une ligne dure vis-à-vis de Fillon uniquement pour avoir des places pour les législatives. Le Canard enchaîné a évoqué l’existence d’un pacte secret entre eux, qui suivrait le scénario que vous évoquez. Mais Bayrou a totalement démenti son existence et aucun filloniste ne l’a confirmé. Pour l’instant, LR a décidé de ne réserver aucune circonscription aux troupes de François Bayrou, dans l’attente de la position définitive de ce dernier… Mais on peut imaginer que si Bayrou renonce à se présenter, il pourrait être « remercié » avec des places aux législatives, voire un poste de ministre. L’avenir le dira…

Eric : Vous avez donné l’effet d’une candidature Bayrou sur le score de Fillon selon un sondage. Qu’en serait-il sur le score de Macron ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, une candidature de Bayrou aurait – en théorie – peu d’incidences sur le score que réaliserait Macron au premier tour. C’est ce que montre le sondage Elabe pour Les Echos et Radio classique, publié jeudi : sans Bayrou, Macron obtiendrait entre 18 % et 24 % des voix ; avec lui, entre 16 % et 22 %. Cela montre que Macron se situe à un haut niveau et que la présence – ou non – de Bayrou n’est pas si déterminante pour lui.

Wilfried : Macron n’ayant pas de parti politique, ne pourrait-il pas se présenter sous la bannière du MoDem et ainsi adoucir la sortie de Bayrou, qui appartient à la génération politique dont plus personne ne veut ?

Impossible car Macron a son propre microparti avec En marche ! et n’a aucune intention de reprendre une formation totalement liée à Bayrou dans l’opinion.

Rom : M. Bayrou ne pourrait-il pas s’allier avec Vincent Peillon dans le cas d’une victoire de ce dernier à la primaire à gauche ? Même s’il « exclut toute alliance avec un représentant de la gauche », il est difficilement croyable de le voir s’allier à Fillon…

C’est pourtant le scénario le plus probable. Dans l’entretien qu’il a accordé au Monde, Bayrou laisse clairement entendre qu’il envisage une alliance avec Fillon et seulement avec lui.