La pancarte d’un partisan de Ramush Haradinaj lors de son procès au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à La Haye, en novembre 2012. | KOEN VAN WEEL / AFP

Un ancien premier ministre du Kosovo dort en prison en France. Ramush Haradinaj, éphémère chef du gouvernement de son pays (de décembre 2004 à mars 2005) et ancien prévenu du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), a été arrêté à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, mercredi 4 janvier, sur la base d’un mandat d’arrêt serbe. Jeudi 5, la Cour d’appel de Colmar a ordonné sa mise en détention provisoire en attendant que la justice statue sur son éventuelle extradition vers Belgrade, qui entend le juger pour 108 chefs d’inculpation allant du « terrorisme » au massacre de civils du temps de la guerre du Kosovo de 1998-1999.

L’affaire est déjà plus corsée pour M. Haradinaj que sa brève interpellation en Slovénie en 2015, qui s’est soldée par une remise en liberté quasi immédiate. Elle laisse aussi présager pour Paris un casse-tête diplomatique. Depuis deux jours, les pressions ont déjà commencé. Le premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, a appelé la France à agir en « Etat de droit », et non « selon ses positions politiques ». Pour ajouter au trouble, Belgrade, qui ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo de 2008, considère M. Haradinaj, 48 ans, comme l’un de ses ressortissants, alors que Paris en fait un citoyen kosovar. A Pristina, où Ramush Haradinaj dirige l’une des principales factions de l’opposition, l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), le ministre de la justice a assuré que son pays prenait « toutes les mesures pour qu’Haradinaj soit libéré aussi vite que possible ».

Ancien haut responsable de l’Armée de libération du Kosovo, la célèbre UÇK, commandant pendant la guerre des zones de Glodane et de Decani, « Rambo », de son nom de guerre, fut accusé de meurtre et d’actes de torture sur des Serbes, des Roms et des Kosovars albanais jugés déloyaux. Des faits qu’il a lui-même admis dans une autobiographie.

La mission européenne de justice humiliée

Ces accusations conduiront Haradinaj deux fois – fait unique – devant le TPIY, malgré l’opposition des Américains et des Britanniques, deux pays qui lui fourniront ensuite des armées d’avocats aguerris. Par deux fois, en 2008 et en 2012, Ramush Haradinaj, qui s’était rendu à La Haye de son plein gré, fut acquitté pour manque de preuves, au terme de procès qui resteront comme des taches sur le bilan du Tribunal. A l’époque, plusieurs témoins avaient été tués, d’autres soumis à des pressions considérables, et beaucoup s’étaient retournés contre le procureur au dernier moment. Une humiliation pour la mission européenne de justice et de police Eulex. Le second procès s’était même déroulé « dans le même climat » d’insécurité, selon les magistrats.

Ces acquittements joueront un rôle dans la suite de l’affaire. Les juges de la Cour d’appel de Colmar devront ainsi notamment vérifier si les faits n’ont pas déjà été jugés et si la demande d’extradition n’a pas des motifs politiques. « Théoriquement, ces conditions rendent peu probable une extradition, estime une source politique française, et plusieurs précédents d’interpellations de dirigeants kosovars en Europe le confirment. Mais le dossier de Haradinaj est plus lourd que la moyenne. »