Grippe H5N8 : l’abattage massif de canards a débuté dans le Sud-Ouest
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C’est une campagne d’abattages préventifs d’une ampleur inédite. Dans le département du Gers, le plus touché du Sud-Ouest avec 150 communes concernées et près de 80 exploitations, l’épizootie influenza aviaire, dite grippe aviaire version H5N8, va faire près d’un million de victimes dans les élevages de palmipèdes « en parcours », en plein air.

La décision, unique en Europe, a été prise par le ministère de l’agriculture au début de décembre 2016, mais ce n’est que le jeudi 5 janvier que les modalités ont été annoncées aux différents acteurs de la filière par la préfecture.

Pour tenter d’endiguer l’épidémie, les agents de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDGSPP) vont donc procéder jusqu’au 20 janvier à l’abattage, puis à la crémation, de centaines de milliers de canards hybrides, dits « mulards », espèce la plus répandue dans les élevages, destinés à produire, entre autres, le fameux foie gras. Le tout pour tenter de former une sorte de cordon ou corridor sanitaire qui stopperait la propagation du virus.

Déjà, en décembre 2015, la grippe aviaire avait été détectée dans le département, mais les animaux contaminés ne montraient aucun signe de la maladie. « Cette année, c’est fulgurant, explique un éleveur de l’ouest du département. Je suis passé à huit heures du matin dans mes bâtiments, deux heures après, 500 canards étaient allongés sur le dos, raides morts. »

Principe de précaution trop tardif

Des zones de surveillance, de protection ou de restriction ont été mises en place, provoquant stupeur, panique ou colère chez les éleveurs. La préfecture a annoncé que les indemnisations seront versées rapidement et que l’Etat prendra en charge tous les frais liés au dépeuplement préventif. En 2016, H5N1 avait déjà coûté plus de 15 millions d’euros, uniquement dans ce département.

Pour cet éleveur du sud-ouest du Gers, à la limite des Hautes-Pyrénées, c’est le 31 décembre au soir que le verdict est tombé. « Les animaux perdaient l’équilibre, puis ils ne marchaient plus et tombaient, ils souffrent vraiment », détaille l’éleveur qui souhaite rester anonyme « car les dossiers d’indemnisation vont être compliqués et sûrement longs ».

Ce sont 2 000 canards âgés de huit semaines et 6 000 de sept semaines qui ont dû être euthanasiés le 5 janvier. La perte est évaluée à plus de 16 000 euros pour une exploitation qui travaille dans des circuits dits courts et vend à des gaveurs des bêtes âgées de treize semaines. Soit un quart de son chiffre d’affaires annuel.

Ces animaux étaient nourris en plein air, aux céréales puis au maïs, et ne subissaient plus de traitements antibiotiques depuis deux ans. « On essaie de travailler proprement, en respectant les animaux et les consommateurs. Mais là, on est furieux, l’administration a traîné des pieds avant les fêtes et nous laisse aujourd’hui à la rue. »

Ce discours est repris par le collectif Canards en colère, rassemblant une cinquantaine d’éleveurs. Le 5 janvier, ils ont manifesté devant la préfecture, dénonçant, par la voix de leur porte-parole Lionel Candelon, « la brutalité des abattages, le manque à gagner irrattrapable pour les éleveurs, le manque d’informations à tous les niveaux, le rôle dévastateur des grands groupes industriels ». Pour ces éleveurs, c’est toute la filière qui est en danger de mort, même si le principe de précaution est « nécessaire, mais appliqué trop tardivement ».

Tout abattre, « un moindre mal »

A quelques kilomètres de là, vers Vic-Fezensac, le père de Lionel Candelon, Christian, passe des nuits blanches en pensant à son avenir. Sur 65 hectares, il élève seul environ 200 000 canards par an. Son frère, Jacques, gère la SARL qui s’occupe de la commercialisation, de l’abattage jusqu’à la conserverie en faisant travailler 15 employés. Ici, comme dans tout le département, l’élevage se divise en « lots » ou en « bandes », sorte de saisons d’élevage.

« Avant on faisait neuf bandes par an, aujourd’hui, par mesures de biosécurité, on n’en fait plus que quatre. Si on saute une bande, c’est six mois d’inactivité. On fait comment pour vivre ? », s’interroge M. Candelon. Vendredi 6 janvier, en milieu d’après-midi, il recevait la vétérinaire venue de Mirande pour effectuer des analyses sur ses animaux. Placée en zone de surveillance, son exploitation n’est pas encore concernée par les abattages préventifs. « On aura les résultats samedi, on verra bien… Mais pour nous, tout abattre, ce serait un moindre mal », commentaient amèrement l’éleveur et son frère.

« L’Etat n’a pas tiré les leçons de la crise de 2015, certains éleveurs n’ont pas été indemnisés et les banques nous refusent des prêts alors qu’on nous impose toujours plus de normes sanitaires, s’emporte Jacques Candelon. Si les abattages avaient eu lieu en décembre, aujourd’hui on retravaillerait tous. Là, on se dirige vers un vide sanitaire et vers une extension dans toute la France et même l’Europe. »

Polémique sur la propagation du virus

Alors que la colère gronde, c’est aussi l’origine du virus qui suscite beaucoup d’interrogations. Des analyses en cours à l’école vétérinaire de Toulouse apporteront bientôt une réponse. Mais, dans le Gers, département qui ne se situe pas dans un couloir de migration d’oiseaux sauvages suspectés de transporter l’épizootie, c’est une autre origine qui est pointée du doigt.

Au début décembre 2016, c’est dans le Tarn qu’avaient été découverts les trois premiers foyers. « On sait tous que c’est une grosse coopérative, Vivadour, qui transportait des animaux malades », dénonce M. Candelon. En décembre, la Confédération paysanne, syndicat agricole, avait publié un communiqué affirmant que l’élevage industriel était « coupable » de la propagation du virus, mettant en cause Vivadour.

En attendant le résultat des analyses, les abattages continuent. Le 6 janvier au soir, ce sont quatre communes de Haute-Garonne qui ont été classées en zone de surveillance.