Editorial du « Monde ». Un président sortant, Barack Obama, qui accuse formellement la Russie d’ingérence, par voie de piratage informatique, dans le processus électoral américain ; un président élu, Donald Trump, qui a longtemps émis les plus grandes réserves sur ces accusations, pris la défense du Kremlin et crié à une « chasse aux sorcières » menée par de mauvais perdants avant de sembler se raviser ; des services de renseignement déstabilisés par le contentieux et la défiance exprimée à leur égard par leur futur patron : la crise qui couve depuis la victoire de M. Trump à l’élection présidentielle du 8 novembre 2016 est grave.

Pendant la campagne, le candidat républicain a multiplié les gestes d’ouverture à l’égard de Moscou, à rebours de la politique de l’administration Obama qui, depuis la crise ukrainienne, a observé une ligne dure. Cette inflexion diplomatique peut se défendre, mais il semble que M. Trump y soit si attaché qu’il a refusé pendant des semaines d’envisager la possibilité d’une responsabilité du pouvoir russe dans le piratage massif dont a été victime le Parti démocrate et la diffusion de ses courriels par WikiLeaks.

La confiance est rompue

Les agences de renseignement américaines ont la certitude que les actes de piratage étaient bien d’origine russe, menés avec l’accord des plus hautes autorités. Pour des raisons évidentes, elles ne peuvent pas rendre public l’ensemble des éléments qui les ont conduites à ces conclusions. Le président élu a persisté à mettre en doute la crédibilité des responsables du renseignement américain, même s’il a changé de ton après la présentation de leurs recherches qui lui a été faite vendredi 6 janvier. M. Trump, qui a évoqué une enquête parlementaire, a surtout insisté sur le fait que sa victoire n’avait pas été entachée par le piratage. Le renseignement américain, qui s’est refusé à toute analyse politique de ces interférences, n’a jamais prétendu le contraire.

La confiance est rompue. James Clapper, directeur sur le départ du renseignement national, n’a pas hésité à souligner jeudi devant une commission du Congrès qu’il y avait « une différence entre un scepticisme salutaire et un dénigrement ». Embarrassés, les élus républicains présents à cette audition se sont gardés de le contredire.

Lors de leur première rencontre postélectorale, M. Obama et M. Trump s’étaient engagés à faire en sorte que la passation de pouvoir entre leurs deux administrations, conformément à la tradition américaine, se déroule bien. Il n’en est rien. Leurs relations se sont rapidement dégradées, M. Trump annonçant qu’il entendait procéder très vite au démantèlement du bilan Obama, et le président sortant prenant in extremis des mesures susceptibles de peser sur la future administration Trump.

Cette transition conflictuelle est regrettable. Mais la déstabilisation des services de renseignement américains l’est encore plus, car elle va bien au-delà de tensions de politique intérieure. Elle affaiblit les Etats-Unis face à la Russie à un moment où le président Poutine pousse de plus en plus loin sa volonté d’affirmation sur la scène internationale et où les démocraties occidentales, empêtrées dans plusieurs crises, sont en retrait. Nul doute que la Chine, et bien d’autres, observent le futur chef de l’exécutif américain gesticuler et vociférer avec le plus grand intérêt. Vu d’Europe, le spectacle qu’il offre n’est pas seulement affligeant : il est hautement inquiétant.