Electeurs en Iran, vendredi 26 février 2016 à Téhéran. | Vahid Salemi / AP

Les Iraniens renouvellent, vendredi 26 février, leur Parlement et l’Assemblée des experts – un corps clérical qui pourrait désigner le prochain Guide suprême. Ces élections, les premières depuis la signature de l’accord international de Vienne sur le nucléaire, en juillet, ont lieu à l’aube de l’ouverture aux capitaux étrangers d’une économie ravagée par une décennie de politiques publiques erratiques et de sanctions internationales.

A quoi servent les « experts » ?

L’Assemblée des experts est un organe de 88 clercs, chargé de nommer et éventuellement de démettre le Guide suprême. Elle s’est réunie deux fois l’an durant son dernier mandat. Le Guide Ali Khamenei, la plus haute autorité du pays, qui définit les grandes orientations de politiques intérieure et étrangères, est âgé de 76 ans. Les experts étant élus pour un long mandat de 8 ans, ils pourraient avoir à désigner son successeur.

Tout est fait pour qu’une telle transition puisse avoir lieu sans crise majeure - ce qui fut déjà le cas lors de la nomination d’Ali Khamenei, en 1989, après la mort du fondateur de la République islamique, Rouhollah Khomeyni. Le Conseil des gardiens, un groupe de 12 clercs et juristes nommés par le Guide et l’autorité judiciaire, chargé de valider les candidatures à l’Assemblée, n’a retenu que 161 candidats sur un total de 800. Ils sont pour la plupart conservateurs et en accord avec le Guide. Parmi les clercs associés aux réformistes écartés, figure Hassan Khomeyni, le petit-fils de l’imam Khomeyni.

L’ancien président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, vieux rival de M. Khamenei, mène une liste avec le président modéré Hassan Rohani, membre de l’Assemblée et qui brigue un nouveau mandat. M. Rafsandjani et des clercs qui défendent la dimension républicaine de la République islamique, issue de la souveraineté populaire, militent pour que l’Assemblée exerce à l’avenir une surveillance de l’activité du Guide, prérogative qu’elle n’a jamais exercée. Les défenseurs de la dimension théocratique du régime dénoncent dans ces revendications une dangereuse « sédition ».

Quelles forces s’opposent pour le contrôle du Parlement ?

Un homme distribue des tracts pour la liste des candidats réformistes, à Téhéran, le 23 février 2016. | ASLON ARFA POUR "LE MONDE"

Le président Rohani espère que le nouveau Parlement lui sera plus conciliant, afin de mener l’ouverture du pays aux capitaux étrangers. Il doit présenter dès le mois de mars des réformes fiscales et du marché du travail, qu’un groupe conservateur radical important pourrait bloquer au Parlement.

Les candidatures aux législatives ont également été filtrées avant le vote : sur 12 000 postulants, seuls 6 200 ont été autorisés à concourir, et 1 400, pour la plupart indépendants, se sont désistés jeudi au profit des grandes listes. Les réformistes, écartés du champ politique après la répression qui a suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2009, ont vu la plupart de leurs candidatures invalidées.

M. Rohani compte sur le soutien d’un vaste regroupement d’intérêts de conservateurs pragmatiques, de modérés et des quelques réformistes encore en lice pour mener à bien sa politique. Ainsi, la division traditionnelle entre réformistes et conservateurs s’efface. Elle laisse place à un conflit entre pragmatiques et radicaux des deux bords.

Qu’est-ce qui divise les conservateurs ?

La véritable bataille des parlementaires a lieu entre conservateurs, parmi les défenseurs de la dimension théocratique de la République islamique. Le président du Parlement, Ali Larijani, un pur traditionaliste, s’est ainsi rapproché de M. Rohani depuis deux ans, réduisant notamment au silence les députés les plus radicaux de son camp lors du vote sur l’accord nucléaire. Cette entente a suscité la création d’une liste radicale qui souhaite lui enlever la présidence du Parlement.

Cette querelle doit déterminer la vigueur avec laquelle une large part de l’appareil politique mettra en scène dans les années à venir sa confrontation avec l’Occident – une constante de l’héritage révolutionnaire. Il y a là une source d’accrocs diplomatiques pour M. Rohani, qui a su gérer avec aisance les derniers incidents : l’incendie des représentations diplomatiques saoudiennes à Téhéran et à Machhad en janvier, puis la capture de marins américains dans le golfe persique, à la veille de la levée des sanctions internationales.

L'affiche du candidat Ali Fallahian à Téhéran le 23 février 2016. | ASLON ARFA POUR "LE MONDE"

Qu’attendent les investisseurs étrangers ?

En jeu également dans cette querelle des conservateurs : le degré de contrôle que l’Etat exercera sur les investissements étrangers. Jugés indispensables, ils demeurent une menace pour une part de l’appareil, qui voit d’un mauvais œil la dilution du pouvoir des entreprises étatiques qu’annonce l’arrivée de Peugeot ou de Bouygues.

L’économie iranienne demeure à plus ou moins 75 % dirigée par l’Etat. Des entreprises contrôlées par d’anciens militaires, membres des gardiens de la révolution (construction et grands travaux, télécoms), ainsi que des fonds de retraites et d’investissements dépendants d’institutions publiques (caisse des employés de la police, du secteur pétrolier…), ont compensé le départ des étrangers durant la période des sanctions. Ils ont bénéficié d’une importante vague de privatisations et ont pris une place prépondérante à la Bourse de Téhéran.

Les Iraniens iront-ils voter ?

Les élections nationales iraniennes enregistrent systématiquement un fort taux de participation, allant jusqu’à 80 % si les classes moyennes libérales se mobilisent. L’alliance des pragmatiques bénéficierait d’un tel mouvement. Cependant, la situation économique du pays n’y incite pas. Elle pourrait pousser vers les radicaux les classes populaires, qui regrettent la disparition des aides directes de l’époque Ahmadinejad.

En deux ans de mandat, M. Rohani a certes limité l’inflation, mais le taux de chômage demeure élevé (30 % selon les économistes indépendants), et la croissance s’annonce nulle pour l’année qui s’achève en mars. L’ouverture du pays se traduira par une reprise lente. M. Rohani paraît par ailleurs avoir reporté les engagements pris sur les libertés civiles à un éventuel second mandat, après 2017.