Francois Hollande à Tulle (Corrèze) le 7 janvier. | MEHDI FEDOUACH / AFP

Une vision d’outre-tombe. Sous le hangar qui abrite le centre d’incendie et de secours de Corrèze, à 20 kilomètres de Tulle, François Hollande discourt sur une estrade, balayée par un faisceau de projecteurs. Derrière lui, son ombre se détache sur un mur immaculé. Obsédante, parfaitement découpée. Bientôt, on ne voit plus qu’elle. Et voilà que celui qui s’est un jour autoproclamé « le spectre de l’Elysée » se met à parler de l’au-delà, devant un parterre d’élus corréziens :

« Ici, nous sommes au centre [du département]. Vous m’avez dit un jour : au paradis. Beaucoup se demandent où je vais aller, ce que je vais faire… Vous avez la réponse. Non pas à l’Ehpad [la future maison de retraite médicalisée, dont il est venu samedi matin poser la première pierre] de Corrèze. Mais au paradis ! »

Le président poursuit dans cette curieuse veine métaphysique devant la poignée de journalistes qui l’a suivi pour ces derniers vœux aux Corréziens, véritable tournée des adieux. « J’ai essayé de vous attirer au paradis pendant mon mandat, sourit-il. Vous n’avez pas voulu le croire. C’était le purgatoire… Mais vous allez voir ce que c’est, le paradis… »

Ses « racines », ses « références » et ses « repères »

C’est à Corrèze, commune miniature de 1 200 habitants, que François Hollande, alors jeune candidat à la députation, avait donné sa première réunion publique, en 1981. Jacques Chirac – à qui il a rendu hommage – se lançait dans la course vers l’Elysée ; lui s’initiait au combat politique. Pendant ces deux jours d’immersion dans son ancien fief électoral, le chef de l’Etat qui ne briguera pas de nouveau mandat, n’a eu de cesse de regarder en arrière, égrenant ses souvenirs de 35 ans de vie politique. « C’est vrai, il y a de l’émotion partagée », a-t-il lâché samedi après-midi lors de la cérémonie des vœux, à Tulle.

« Vous étiez déjà là avant que je ne devienne président. Vous êtes là encore aujourd’hui. Je voulais vous remercier pour le soutien que vous m’avez apporté toutes ces années. »

Dédaignant le discours sur la ruralité que son cabinet lui avait préparé, M. Hollande a largement improvisé ses adieux à la Corrèze, où il s’est présenté à tous les mandats – maire, député, président du conseil général. Et où il s’était déclaré candidat à l’élection présidentielle, il y a six ans. « Je connais ce département commune par commune, presque habitant par habitant », a-t-il lancé, en rappelant qu’il avait ici ses « racines », ses « références » et ses « repères ». Autant de balises auxquelles se raccrocher alors que le sol politique s’est dérobé sous ses pieds, contraignant ce président impopulaire et affaibli à renoncer à briguer un deuxième mandat, le 1er décembre 2016.

Obsédé par sa postérité, M. Hollande a profité de ces vœux pour défendre une nouvelle fois un bilan très critiqué, mais qu’il souhaite réhabiliter au cours de ses quatre derniers mois à l’Elysée. Dans un discours testamentaire, le président a notamment assuré que personne, après lui, ne remettrait en cause ses réformes, qu’il s’agisse de la réforme territoriale ou du mariage pour tous. « Les grandes réformes sont celles qui ont de l’ancienneté, qui ont traversé les alternances », a-t-il argué, en évoquant l’abolition de la peine de mort par François Mitterrand en 1981. « Il faut toujours s’honorer de ces réformes-là (…) Il faut savoir tenir son cap car ensuite c’est l’Histoire qui juge. »

Le chef de l’Etat, qui souhaite également se poser en président protecteur, a mis en garde contre la « purge » libérale annoncée par François Fillon ou encore une possible arrivée du Front national (FN) aux responsabilités. « Tout peut basculer », a-t-il répété. « Mon rôle aujourd’hui est de vous le dire bien en face », a-t-il insisté, tout en livrant des « valeurs » à chérir : la « raison » contre les « passions », la « solidarité », « l’engagement » ou le « courage ». Puis, comme François Mitterrand avait évoqué les « forces de l’esprit » lors de ses derniers vœux aux Français, le 31 décembre 1994, il a lancé aux Corréziens : « Je serai toujours parmi vous. »

« Merci pour ces cinq années salies par les médias »

La boucle est bouclée. Même si M. Hollande semble avoir du mal à s’y résoudre. Au terme de son discours, il s’est livré à un traditionnel bain de foule, dans une salle de l’Auzelou bondée et surchauffée. Encerclé de gardes du corps, le président s’est jeté dans la foule d’élus et de militants socialistes. Ces Corréziens, pour la plupart amis ou fidèles, se pressent autour de lui, le touchent, l’agrippent, l’embrassent, le serrent, l’enlacent, le caressent, le happent. Lui se laisse faire, ravi : « J’arrive, j’arrive… ! »

Comme si toutes ces mains qui se tendaient pouvaient atténuer, un peu, la morsure d’une humiliante renonciation. « Merci pour ces cinq années salies par les médias », lui murmure à l’oreille une admiratrice. « Tu viendras manger des chocolats à la section [de Pompadour Lubersac], comme avant », lui lance une militante PS. « Il y a 20 ans, tu nous as mariés, lui rappelle une troisième Corrézienne. On va fêter nos 20 ans de mariage le 17 juin prochain. On t’invite ! » M. Hollande savoure.

Les Corréziens s’accrochent à lui. Mais ce président contraint – trop tôt – de faire le deuil du pouvoir s’accroche aussi à eux. Il appelle chacun par son prénom, demande des nouvelles de la famille. « Ces retours, cette affection, font partie de cet amour que j’ai pour la politique », glisse-t-il entre deux embrassades. « La politique, ce n’est pas seulement briguer un suffrage, la preuve… ! », tente-t-il de se persuader quand on lui dit qu’il semble avoir du mal à décrocher.

Puis arrive Claude, ancien élu du conseil municipal d’Ussel. Le retraité regrette le retrait de M. Hollande, lui glisse que « tout ça, c’est à cause du livre [Un président ne devrait pas dire ça, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme]. » « Non, répond l’intéressé, ce n’est pas le livre… C’est la division [de la gauche]. C’est insupportable !

- Je n’irai pas voter [à la primaire], rétorque Claude.

- Vote quand même, insiste le président.

- Pour le moment, c’est définitif, s’obstine le vieux Corrézien.

- Mais rien n’est définitif ! », sourit M. Hollande, comme s’il se parlait aussi à lui-même.

La veille, sous les lambris de la préfecture de Tulle, alors qu’il était interrogé sur d’éventuels regrets, le président avait curieusement botté en touche. Il avait refusé de répondre, répété le mot « tristesse ». Avant de reprendre le Falcon, qui doit le ramener samedi soir à Paris, le président confie qu’il souhaite une « primaire apaisée autant que possible ». Mais qu’à ses yeux, ce n’est pas le sujet. Le sujet, poursuit-il, c’est « le rassemblement de la gauche », si celle-ci veut avoir une chance de se qualifier pour le deuxième tour.

Quand on lui demande si des Corréziens croisés au cours de ces deux journées de pèlerinage ont plaidé pour qu’il renonce à sa décision de ne pas se présenter à la présidentielle, il répond « oui… », tout simplement. Puis, comme pour conjurer la peur du vide, le vertige de l’après, il ajoute : « Rien dans la vie n’est jamais définitif. Sauf la fin… »