Le minstre ivoirien de la défense, Alain-Richard Donwahi (au centre), à l’issue de ses discussions avec les militaires à Bouaké, samedi 7 janvier. | SIA KAMBOU / AFP

Partout dans le pays, le calme était revenu dimanche 8 janvier. Plus de tirs, plus de blocages, plus d’occupations. Les militaires ivoiriens ont regagné leurs casernes, après avoir contrôlé plusieurs villes, deux jours durant. Pour les populations, c’est le soulagement. Elles craignaient une nouvelle crise. Il s’en est fallu de peu.

Ce scénario ne figurait sûrement pas dans les vœux formulés par les Ivoiriens au moment d’entrer dans l’année 2017. Une semaine seulement après avoir célébré avec faste le Nouvel An, un mouvement d’humeur de soldats est venu leur rappeler que leur pays avait toujours une stabilité fragile, en dépit de ses bonnes performances économiques.

Le souvenir de 2002

Comme en septembre 2002, le même jour de la semaine − un jeudi − aux mêmes heures du petit matin et quasiment au même lieu de départ, Bouaké (centre du pays), une mutinerie a éclaté dans la nuit du jeudi 5 au vendredi 6 janvier. Après s’être engouffré dans plusieurs poudrières, dont celle des casernes de la deuxième plus grande ville du pays, les mutins ont fait crépiter des armes lourdes et légères, ravivant le souvenir d’épisodes déjà vécus, entre 2002 et 2011, sous le joug de l’ancienne rébellion.

A la différence des soldats d’il y a quinze ans − appelés « Zinzins » et « Bayéfouè » − qui avaient réclamé une intégration dans l’armée avant de se muer en rebelles, ce mouvement-ci n’a présenté aucun visage, au départ. Ce qui a d’ailleurs fait craindre un scénario identique. Seules ces revendications étaient connues : paiement de primes, augmentation de salaires, réduction du temps à passer dans les grades.

« Le pire, nous n’en étions plus loin »

Samedi, jusqu’au dénouement des négociations avec le ministre de la défense, Alain-Richard Donwahi, le mouvement des mutins s’est étendu dans les grandes garnisons, notamment à Daloa (troisième région militaire) et Korhogo (quatrième région militaire). Les militaires de plusieurs autres villes du pays, dont Abidjan, ont exprimé leur colère, empêchant la circulation des biens et des personnes. Routes coupées, écoles, commerces et banques fermées, les populations ont été une nouvelle fois prises en otage.

« Le pire, une journée de plus et nous n’en étions plus loin », soupire Julie Koné, présidente du Centre féminin pour la démocratie et les droits humains en Côte d’Ivoire. « Franchement, on ne peut pas continuer à regarder l’armée agir de la sorte, chaque fois qu’il y a des revendications de soldats. Tout le monde est conscient qu’il y a de véritables problèmes au niveau social, mais (les militaires) n’avaient pas besoin de faire parler les armes. Il faut que cela s’arrête », plaide Mme Koné.

« Je déplore cette manière de revendiquer. Elle est inappropriée et ternit l’image du pays », a condamné, dans une déclaration à la télévision nationale, le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, après un conseil des ministres extraordinaire samedi en fin d’après-midi. Mais auparavant, il avait cédé aux exigences des militaires en donnant son accord « pour la prise en compte des revendications relatives aux primes et à l’amélioration des conditions de vie et de travail ».

Appels à publier les détails de l’accord

A ce stade, les détails de cet accord n’ont pas été communiqués. Ce qui fait réagir certains Ivoiriens. « Notre souhait est que le contenu et le calendrier de ce énième accord soient connus de tous, y compris la question des ex-combattants qui se montrent menaçants chaque fois. Il faut éviter les accords de dupes », râle Aristide Asseman, fonctionnaire, qui rappelle l’accord déjà conclu avec les militaires il y a un peu plus de deux ans.

En novembre 2014, déjà, le pays avait en effet été secoué par un soulèvement de ce type. Mais celui-ci n’avait duré qu’une journée. Les soldats réclamaient le paiement de leurs arriérés de soldes, depuis les accords de Ouagadougou de 2007, qui avaient été signés entre le régime d’alors et les anciens rebelles. Après une rencontre entre les militaires et les ministres de la défense et de l’intérieur, ces derniers s’étaient engagés à verser ces arriérés entre novembre 2014 et décembre 2014. Un engagement tenu, apprend-on auprès de certains soldats. A l’occasion, les deux parties avaient insisté sur le fait qu’il s’agissait de « revendications » et non d’une « mutinerie ».

L’actuel mouvement de mécontentement des soldats est intervenu alors que le pays se prépare à entrer dans sa troisième République avec l’annonce d’un nouveau gouvernement, la mise en place d’un nouveau Parlement et la désignation d’un vice-président. La session d’ouverture de l’Assemblée nationale était prévue lundi 9 janvier, mais elle a été reportée, en raison des événements. Toutefois, deux candidatures ont été annoncées pour le poste de président. Celle du sortant Guillaume Soro et celle d’Evariste Méambly, un cadre de l’ouest du pays. En attendant, lundi, le pays devrait encore vivre au ralenti, à la suite d’une grève annoncée des fonctionnaires.