Le procès en appel du président tchadien déchu Hissène Habré s’est ouvert, lundi 9 janvier, à Dakar en son absence, sept mois après sa condamnation à la prison à perpétuité par un tribunal spécial africain, au terme d’un procès inédit censé servir d’exemple pour le continent.

Hissène Habré, 74 ans, a été condamné le 30 mai 2016 pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité », « tortures » et « viols » par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), créées en vertu d’un accord entre l’Union africaine (UA) et le Sénégal, où il s’était réfugié après avoir été renversé en décembre 1990 par l’actuel président tchadien Idriss Déby Itno.

Il a ensuite été condamné en juillet à payer jusqu’à 20 millions de francs CFA (plus de 30 000 euros) à chacune de ses victimes.

Audience rapidement suspendue

« La défense demande une dispense de comparution de l’accusé », a déclaré le président de la Chambre d’assises d’appel, le magistrat malien Wafi Ougadèye, au début d’audience, peu avant 10 heures.

« Nous nous passons de sa présence », a annoncé le président, qui a expliqué lui avoir précédemment adressé une sommation à comparaître lundi. L’accusé avait répondu que, ne reconnaissant pas la cour, « il ne peut recevoir un quelconque document venant d’elle », a-t-il indiqué. En première instance, l’ex-président tchadien (1982-1990) avait été amené de force à la barre.

L’audience d’appel a été rapidement suspendue, le temps d’examiner une demande présentée par la défense, de « décharge » de l’un des magistrats sénégalais, Bara Gueye. ?Celui-ci avait jugé une affaire connexe - des poursuites en diffamation de Hissène Habré contre des journalistes sénégalais - qu’il avait relaxés.

Cette demande a été rejetée et la parole a été donnée à la défense, avant les parties civiles et le parquet.

Face au refus de l’ancien président tchadien de s’exprimer ou d’être représenté tout au long du procès en première instance qui s’était ouvert le 20 juillet 2015, la cour avait désigné trois avocats commis d’office pour assurer sa défense.

Ce sont ces trois avocats qui ont fait appel, et non les conseils désignés par l’accusé qui, selon ses instructions, avaient boycotté les débats. « Nous avons motivé notre appel par des vices de forme, des violations de la loi et des droits de la défense, des erreurs de procédure », a déclaré à l’AFP l’un des avocats commis d’office, MMbaye Sène.

Les avocats désignés par l’accusé continueront pour leur part à boycotter le procès, a affirmé à l’AFP l’un d’entre eux, Ibrahima Diawara : « M. Habré estime que cela ne le regarde ni de près, ni de loin. »

Verdict définitif

« On n’aura pas de témoin à auditionner. C’est une décision souveraine de la cour qui a décidé de ne pas donner suite aux demandes des avocats de Habré », a souligné le porte-parole des CAE, Marcel Mendy.

La défense avait demandé l’audition de huit témoins, dont Idriss Déby Itno et Khadija Hassan Zidane, une victime qui avait affirmé pendant le procès avoir été violée par Hissène Habré lui-même. Un témoignage qui avait convaincu la cour.

La chambre d’appel devra également examiner un appel des parties civiles portant sur les conditions d’attribution des réparations. « Je n’ai aucun doute que le jugement sera confirmé. On ne peut pas violer impunément les lois internationales », a confié à l’AFP Souleymane Guengueng, président d’une association de victimes, détenu lui-même pendant plus de deux ans par la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique du régime Habré).

Les débats devraient durer plusieurs jours, la décision finale est attendue le 30 avril au plus tard, date de la fin du mandat des juges. Le verdict sera alors définitif. En cas de condamnation, Hissène Habré purgera sa peine au Sénégal ou dans un autre pays de l’UA.

Les organisations de défense des droits humains ont souligné le caractère « historique » du procès en première instance, le premier dans lequel un ancien chef d’Etat a été jugé par les tribunaux d’un autre pour violation des droits de l’homme. De plus, « un ancien dictateur n’avait encore jamais été personnellement reconnu coupable de viol par une cour internationale », a souligné le juriste américain Reed Brody, qui travaille avec les victimes du régime Habré depuis 1999. Une commission d’enquête tchadienne avait estimé le bilan de la répression sous son « règne » à quelque 40 000 morts.

Amnesty International a demandé, à l’instar de M. Brody, qu’en cas de confirmation de la décision sur les réparations, les CAE, l’UA, le Tchad et la communauté internationale garantissent que « des ressources suffisantes soient mobilisées et allouées à un fonds de dépôt » destiné à indemniser les victimes.