Editorial du « Monde ». Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, l’un des piliers de la vie politique iranienne, mort dimanche 8 janvier d’une crise cardiaque, à l’âge de 82 ans, aura raté l’ultime objectif d’une vie consacrée au pouvoir et à l’argent. Il aurait aimé être une sorte de Deng Xiaoping iranien. De même qu’il fallait avoir été un proche de Mao pour réformer la Chine et l’ouvrir sur l’extérieur – affaire de crédibilité politique dans le système –, de même fallait-il avoir été un des collaborateurs les plus intimes de Ruhollah Khomeyni, le père de la révolution iranienne, pour ambitionner, comme Ali Akbar Rafsandjani, d’être celui qui réconciliera la République islamique avec l’Occident et, plus particulièrement, les Etats-Unis.

Il avait compris sur le tard qu’il ne reviendrait plus lui-même au premier plan de ce sérail à tendances multiples qu’est la direction iranienne. Mais, encore puissant et craint, il était toujours l’un des soutiens les plus importants du camp réformateur, agitant tel ou tel de ses réseaux dans la politiques et les affaires. Bouclant cette année un premier mandat, le président Hassan Rohani, qui n’a pas encore décidé de se représenter au scrutin présidentiel de mai, vient de perdre un allié de poids.

Curieux destin

En revanche, la famille des « durs » du régime versera des larmes de crocodile sur le cercueil de celui qu’on surnommait « le Requin » pour son habilité politique et entrepreneuriale. Regroupée autour du Guide vieillissant, Ali Khamenei, cette famille se trouve déjà renforcée par les événements de Syrie. Défendant coûte que coûte le camp de Bachar Al-Assad, relais essentiel du parti libanais Hezbollah, l’une des filiales arabes de la République islamique, les faucons ont engagé l’Iran à fond dans cette guerre de Syrie. L’enjeu est pour eux existentiel ou presque.

S’appuyant sur les gardiens de la révolution, les « durs » privilégient les ambitions de domination régionale du pays sur son éventuelle ouverture à l’ouest. Ils redoutent que cette ouverture ne fragilise le régime à l’intérieur – et se fasse aux dépens de leurs intérêts économiques. Avec le soutien du Guide, ils entendent limiter la portée de l’accord sur le programme nucléaire iranien conclu en juillet 2015. Ils ne veulent pas d’une retombée diplomatique qui se traduirait par une normalisation progressive des relations avec les Etats-Unis. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier, les confortera plus encore.

Curieux destin, ainsi, que celui d’Ali Akbar Rafsandjani. Ancien président, il s’en va, politiquement sur la défensive mais salué par tous à Téhéran, après une vie où il aura occupé la plupart des positions de pouvoir au cœur de la République islamique. S’il a participé à nombre de campagnes de répression ou a été au centre de telle ou telle opération terroriste, il voulait pour l’Iran, et à la mesure du pays, une évolution « à la chinoise » : maintien d’une forme d’autocratie politique (le pouvoir ne se dispute qu’à l’intérieur du parti des mollahs) mais ouverture à l’ouest sur le plan économique. Peut-être puisait-il aussi dans l’exemple « chinois » son incomparable aptitude à mêler pouvoir politique et constitution d’un empire économique personnel.

Curieux destin, enfin, que celui qui fut, longtemps, le compagnon de route d’Ali Khamenei, dont il facilita l’ascension avant d’entrer en conflit feutré avec lui. Dans sa complexité, Rafsandjani incarnait assez bien la République islamique.