Bachar Al-Assad lors d’une interview en décembre 2015. | AP

En position de force sur la scène internationale après la « reprise » d’Alep aux rebelles, le président syrien, Bachar Al-Assad, a donné à trois médias français (RTL, France Info et LCP) une interview, la première depuis celle de David Pujadas en avril 2015. Cette rencontre avait lieu en marge de la visite de trois députés français à Damas : Thierry Mariani (Les Républicains, LR) – un très proche de la Syrie et de la Russie –, Nicolas Dhuicq (LR) – secrétaire du groupe d’amitié France-Russie et France-Biélorussie – et, plus surprenant, Jean Lassalle (ex-MoDem). Tous étaient « invités par les chrétiens d’Orient ».

Dans cet exercice de communication maîtrisée, le président syrien a par exemple nié avoir commis des « crimes de guerre » :

« Si on avait fait des choses pareilles, nous n’aurions pas eu de soutien, je ne serai plus président, le gouvernement ne serait plus là. »

Pourquoi c’est faux

Selon la définition du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, un crime de guerre est une « violation grave du droit international humanitaire commis à l’encontre de civils ou de combattants à l’occasion d’un conflit armé international ou externe », ils « découlent essentiellement des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels I et II de 1977 et des Conventions de La Haye de 1899 et 1907 ». Ainsi, tuer des prisonniers de guerre ou des civils, torturer des militaires sont des crimes de guerre.

Confirmées par l’enquête menée par Le Monde en 2013, les preuves existent de l’utilisation de gaz sarin par l’armée syrienne après le 30 juin 2013, date butoir après laquelle la Syrie devait avoir rendu la totalité de son arsenal chimique.

Dès juin 2014, les autorités françaises et britanniques disposaient de preuve de l’utilisation d’une autre arme contre les rebelles syriens : des gaz chlorés, selon le Centre d’étude du Bouchet, qui dépend de la Direction générale de l’armement et qui possède le seul laboratoire équipé pour produire des résultats certifiés dans le domaine des armes dans l’Hexagone.

A Alep, jusqu’en décembre, de nombreux témoignages ont fait état de bombardements, par l’armée syrienne et son alliée russe, sur les hôpitaux civils dans les zones qui étaient alors aux mains des rebelles et des brigades djihadistes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé, en octobre, les forces loyalistes à « cesser de tuer [et] d’attaquer les services de santé » dans les quartiers tenus par les rebelles. En septembre 2016, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon avait évoqué un « abattoir » et des « crimes de guerre » pour parler de ces bombardements attribués à la Syrie et à son allié russe.

Plus largement, si toutes les parties ont tué indistinctement des individus armés ou non dans un conflit qui a fait entre 312 000 et 450 000 victimes – dont au moins 90 500 civils – selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, la plupart des victimes sont imputable à Damas.

Ainsi, environ 80 % des morts sont le fait du pouvoir syrien et de ses alliés (armée régulière, milices locales ou milices chiites étrangères alliées au régime) selon le Réseau syrien des droits de l’homme, qui tâche de documenter les morts dus au conflit, en sourçant avec des articles de presse, des vidéos, des photos, etc.

De son côté, la coalition internationale a reconnu, lors de bombardements contre l’organisation Etat islamique, avoir tué à plusieurs reprises des civils. L’Observatoire syrien des droits de l’homme estime à 600 le nombre total de victimes des bombardements de la coalition.

Des élections jouées d’avance

A propos de son mandat de président contesté par l’opposition syrienne et par une partie de la communauté internationale, Bachar Al-Assad répond sur la « démocratie » syrienne :

« Parler du président, c’est parler des urnes, car c’est le peuple syrien qui doit, selon la Constitution, décider qui sera le président ou pas. Cela vaut pour moi comme n’importe quel autre citoyen syrien. J’ai le droit d’être désigné et j’ai aussi le droit de ne pas être candidat si je ne veux pas être président. »

Pourquoi c’est faux

En pleine guerre civile, et alors que la communauté internationale avait apporté les preuves de l’utilisation d’armes chimiques contre son peuple, le président syrien a maintenu en juin 2014 une élection présidentielle. En rupture avec les pratiques de son père, Hafez Al-Assad, dont le mandat était reconduit par référendum, Bachar Al-Assad s’est présenté lors d’une élection d’apparence ouverte.

Mais, d’une part, le scrutin n’a eu lieu que dans les territoires contrôlés par l’armée syrienne et non sur l’ensemble du territoire. Cette élection a eu lieu dans un pays qui comptait alors 9 millions de personnes réfugiées ou déplacées (sur 22,5 au début de la guerre), comme le rappelait Courrier international en mai 2014.

D’autre part, tout a été fait pour verrouiller le résultat d’une élection face à deux candidats à la notoriété quasi nulle : Maher Al-Hajjar, un parlementaire d’Alep, et Hassan Al-Nouri, un entrepreneur qui fabrique du cirage. Le président sortant a recueilli 88,7 % des suffrages, contre à peine plus de 7 % pour ses deux adversaires réunis.

A ce moment de la guerre civile syrienne, une solution politique était encore portée par la communauté internationale. L’organisation même de la présidentielle, trois ans après le début des printemps arabes, était le dernier acte de la mort du plan de Genève, négocié en 2012 entre Russes et Américains sous l’égide de l’ONU, qui appelait à la formation d’un gouvernement d’unité nationale.

Al-Assad a tué plus de ses concitoyens que les Etats-Unis en Irak et Afghanistan

Après avoir revendiqué le soutien populaire sans quoi il « ne serait plus président », Bachar Al-Assad cherche à renvoyer les pays occidentaux à leur bilan humain :

« [Les] Etats-Unis et n’importe quel pays occidental, y compris la France, ne sont pas en position de nous accuser. Si on parle du passif des Etats-Unis concernant les droits de l’homme, durant la dernière décennie, c’est certainement le pire y compris la guerre en Irak. Si on parle de la France, attaquer la Libye, cela faisait partie des droits de l’homme, aussi ? »

Pourquoi c’est faux

Entre 2003 et 2013, la guerre des Etats-Unis et de ses alliés en Irak a fait 100 000 victimes, selon le magazine Time. Sans minimiser ce chiffre déjà très élevé, il s’agit du nombre de victimes en dix ans – soit deux fois plus longtemps que la guerre civile en Syrie – sans utilisation d’armes interdites. En Afghanistan, les opérations américaines et de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) ont fait des « milliers » de victimes civiles, dénonçait l’organisation non gouvernementale Amnesty International en 2014.

En Syrie, la même ONG dénonçait en août 2016 les « milliers de personnes » tuées dans les prisons du régime de Bachar Al-Assad, ainsi que les « dizaines de milliers d’autres » qui ont « subi des actes de torture » de la part de l’armée. Amnesty International pointait également les attaques chimiques des forces de Damas, les sièges prolongés et la privation de soins, ainsi que des « attaques contre des établissements médicaux et du personnel de santé ».

Côté français, l’intervention internationale menée par Paris entre mars et octobre 2011 en Libye a fait au moins 72 morts civils, selon l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch. Rappelons que la France et les autres pays de la coalition intervenaient pour faire appliquer la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies pour instaurer une zone « d’exclusion aérienne afin de protéger les civils contre des attaques systématiques et généralisées » menées par les forces du régime de Mouammar Kadhafi pour réprimer les manifestations contre le dictateur.