Aquilino Morelle, à Paris, le 5 janvier. | MICHAEL ZUMSTEIN / AGENCE VU POUR "LE MONDE"

Aquilino Morelle a parfois la mémoire sélective. Dans son livre L’Abdication (Grasset, 416 p., 22 euros), publié mercredi 11 janvier, l’ex-conseiller de François Hollande explique, en substance, que la justice l’a blanchi de l’accusation de conflit d’intérêts, qui lui avait valu d’être limogé de l’Elysée en avril 2014. Il se prévaut d’une décision du parquet national financier, qui avait classé sans suite la procédure ouverte à son encontre. Toutefois, le rapport d’enquête ne l’absout pas intégralement car il relève que M. Morelle a enfreint plusieurs règles déontologiques, qu’il se devait de respecter en sa qualité de haut fonctionnaire à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

C’est Mediapart qui avait sorti l’affaire, il y a presque trois ans. Nos confrères avaient notamment révélé que M. Morelle avait accompli une mission pour la société pharmaceutique Lundbeck, alors qu’il était en poste à l’IGAS, son corps d’origine. Il en avait effectué une autre pour le laboratoire Lilly, à une époque où il se trouvait en disponibilité vis-à-vis de l’administration à laquelle il est rattaché. Il avait, par ailleurs, fondé une entreprise (l’EURL Morelle) pour poursuivre, durant un temps, ce type de collaborations. Autant de faits qui alimentèrent le soupçon sur un conflit d’intérêts.

C’est une « accusation inventée de toutes pièces par l’industrie pharmaceutique dont j’étais la bête noire depuis mon rapport sur l’affaire du Mediator », se défend-il dans son livre. La justice a fait « litière » de cette thèse « en un temps record », ajoute-t-il, puisque le parquet financier a classé le dossier « moins de dix mois après » le limogeage de M. Morelle, considérant que l’infraction de prise illégale d’intérêt n’était pas constituée. L’ex-conseiller de M. Hollande rappelle que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et le conseil de l’ordre des médecins ont abondé dans le même sens.

Trouble au sein de l’IGAS

Un bémol doit cependant être apporté. Selon deux sources proches du dossier, le parquet national financier a, en effet, conclu que M. Morelle avait « manqué au respect de (…) règles déontologiques et statutaires » en effectuant une mission pour Lundbeck, « sans solliciter une autorisation de cumul spécifique auprès du chef de l’[IGAS] ». Le même reproche lui est fait pour avoir créé une « société commerciale » et accompli « une mission pour le compte [de] Lilly, sans modifier sa demande de mise en disponibilité ». Ce grief est également formulé au sujet du transfert de la gérance de l’EURL Morelle à son frère Paul, alors qu’en réalité, Aquilino Morelle a continué « à gérer (…) la société et à engager des dépenses (…) au nom de celle-ci ».

Les révélations de Mediapart avaient jeté le trouble au sein de l’IGAS. Début mai 2014, le Smigas, l’un des deux syndicats implantés dans ce service, avait écrit au secrétaire général de l’Elysée pour réclamer l’ouverture d’une enquête administrative, à charge et à décharge. La CFDT avait, elle aussi, demandé au chef de l’IGAS, Pierre Boissier, que la lumière soit faite. Une procédure semble avoir été engagée, mais rien n’a filtré, depuis, à ce sujet, y compris en interne. Au printemps 2015, le Smigas était de nouveau monté au créneau pour savoir où en était le traitement des faits reprochés à M. Morelle. M. Boissier avait répondu qu’il n’avait aucune information à communiquer à ce sujet, rapporte un membre du service.

Proche de François Hollande

La question posée, en filigrane, était de savoir si l’ex-conseiller du chef de l’Etat, qui a réintégré son corps d’origine, devait être sanctionné ou pas. Or, pour les membres de l’IGAS, les textes prévoient que l’autorité qui punit (sur la base d’un rapport préparé par l’inspection) est aussi celle qui désigne : en l’occurrence, il s’agit… du président de la République, ce qui, dans le cas de M. Morelle, soulève une petite difficulté puisqu’il a fait partie de la garde rapprochée de M. Hollande.

Un temps, il avait été envisagé de modifier les règles disciplinaires pour que le chef de l’IGAS puisse infliger certaines sanctions – les plus légères (blâme, etc.). Mais ce projet de réforme, contesté par plusieurs syndicats, avait été abandonné.

Sollicité sur le sort réservé à l’enquête administrative concernant M. Morelle, l’entourage du président de la République « invite à voir avec le chef de l’IGAS ». Ce dernier, questionné par Le Monde, indique, par le biais de sa responsable communication, que « les éventuelles investigations internes sur le comportement d’un agent de l’administration et leurs suites possibles sont couvertes par le secret (…) et n’ont donc pas à être rendues publiques ». L’Elysée et M. Boissier « se moquent du monde », conclut, dépité, un membre de l’IGAS. Sous-entendu : la procédure a été enterrée.