Editorial du Monde. Enlisée depuis sept ans dans les méandres d’une enquête incohérente, l’« affaire de Tarnac » est désormais menacée de tourner au fiasco policier et à la pantalonnade politique. Elle n’en est que plus instructive.

Depuis novembre 2008, en effet, une huitaine de personnes alors installées dans le village corrézien de Tarnac sont poursuivies pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste ». Appartenant à la mouvance anarcho-autonome et se revendiquant d’un opuscule radical publié en 2007 (L’Insurrection qui vient), plusieurs membres de ce groupe sont soupçonnés d’avoir saboté cinq lignes de TGV à l’automne 2008 en posant des fers à béton sur des caténaires. Leur chef de file, Julien Coupat, sera détenu pendant six mois avant d’être remis en liberté.

A l’époque, le gouvernement Fillon avait fait de leur arrestation le symbole de sa fermeté en matière de sécurité en général, et de lutte antiterroriste en particulier, au moment où venait d’être créée la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Sa ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, n’avait pas hésité à dénoncer les dérives et la menace de l’« ultragauche ».

En sept ans, cette affaire s’est largement dégonflée, comme en témoigne l’ordonnance conclusive de la juge d’instruction, rendue publique le 8 août. Elle a certes décidé de renvoyer les huit militants libertaires devant le tribunal correctionnel, dont quatre pour association de malfaiteurs et les autres pour des délits mineurs. Mais elle n’a pas retenu la qualification de « terroriste » dans ce dossier.

C’est, d’une part, un camouflet pour le parquet qui, dans ses réquisitions, au mois de mai, avait réclamé que cette qualification aggravante fût retenue. A ses yeux, L’Insurrection qui vient – texte pourtant en vente libre en librairie – constituait un guide théorique « visant à renverser l’Etat par la violence » et à installer « un sentiment de terreur et d’intimidation » dans le pays.

D’autre part, et de manière logique, la décision de la juge tire le bilan piteux d’une enquête erratique, confuse et lacunaire. Le seul fait concret retenu est la pose d’un crochet sur une caténaire. Mais il n’y a ni flagrant délit, ni preuves, ni aveux que Julien Coupat et sa compagne, directement mis en cause, ont participé à ce sabotage. En outre, les experts admettent que cet acte de malveillance ne menaçait en rien des personnes. Quant à l’enquête, elle a mis au jour bien des irrégularités et des incohérences, opportunément couvertes par le secret défense, au point de jeter le doute, voire le discrédit, sur les méthodes de la DCRI.

Les Français ont tragiquement découvert, depuis l’équipée sanglante de Mohamed Merah en 2012 et les attentats parisiens de janvier, la réalité d’une menace terroriste de nature, selon l’article 421-1 du code pénal, à provoquer « l’intimidation et la terreur ». Poursuivre les jeunes de Tarnac pour un motif identique relèverait de l’acharnement absurde ou de l’entêtement coupable. Le ministère public a pourtant décidé lundi 10 août de faire appel de l’ordonnance de la juge d’instruction.

Cette affaire démontre, enfin, à quels dérapages périlleux peut conduire la tentation d’instrumentaliser la peur du terrorisme, au mépris des libertés individuelles. Ce qui était vrai hier ne l’est pas moins aujourd’hui, face à une menace autrement dramatique. En démocratie, la fin ne justifie jamais les moyens.