Campement de fortune de réfugiés installé sur l'allée centrale de l'avenue du Président Wilson à Saint-Denis en décembre 2016. | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Une tente, dix, vingt, cinquante… En dix minutes, la Halle Pajol, dans le 18e arrondissement de la Paris, est redevenue, dans la soirée du lundi 9 janvier, le lieu d’un campement sauvage de migrants. Il est 20 heures. Sofin y croit à peine. Il regarde ces maisons de toile s’inventer en quelques gestes. « Depuis une semaine que je suis à Paris, je dors dehors. Evidemment, je suis très content, je serai mieux que dans le petit jardin voisin », soupire le jeune Eytrhréen. Il sourit à un de ses amis, petite trentaine, qui ne lâche pas la couverture rouge qui lui couvre les épaules. Il a froid, est malade, a envie de dormir.

Des soutiens aux migrants, issus des divers collectifs et des associations parisiens ont décidé de passer à l’action et d’organiser cette opération coup de poing. « Depuis l’ouverture du camp humanitaire d’Anne Hidalgo [la maire de la ville], en novembre, des réfugiés restent chaque jour sur le carreau. Comme Médecins sans frontières (MSF) l’a rappelé ce week-end, ils subissent les violences des policiers qui ont pour consigne qu’aucun campement de rue ne se recrée dans Paris. Vient le moment où tout cela n’est plus tolérable et où il faut agir », observe un habitant de l’arrondissement, en montant un abri.

Des tickets d’entrée

Samedi, MSF avait lancé un cri d’alarme. « Les policiers harcèlent les migrants en leur confisquant leurs couvertures. Ils utilisent parfois des gaz lacrymogènes pour les disperser, allant jusqu’à leur interdire de s’asseoir dans la file du centre de la Chapelle où ils attendent une place d’hébergement. Ces pratiques inacceptables mettent en danger la vie des migrants : les équipes de Médecins sans frontières ont dû prendre en charge huit personnes proches de l’hypothermie », observaient les humanitaires dans un communiqué.

Si Bruno Le Roux, le ministre de l’intérieur a démenti que les forces de l’ordre aient pour consigne de dépouiller les réfugiés de leurs couvertures, il n’a pas réfuté le harcèlement plus global qui est le lot quotidien de ces populations depuis l’été 2016 dans les rues de Paris. « Lorsqu’on demande aux policiers qu’aucun campement ne se reforme, soit ils chassent les gens, soit ils les dispersent, soit ils les dépouillent de ce dont ils ont besoin pour dormir, sacs de couchage ou tentes », rappelle une membre d’un collectif.

Rencontré lundi devant le camp humanitaire, Ahmed, un jeune Afghan, racontait – sans se plaindre – qu’il avait été chassé trois fois des places où il dormait durant la nuit précédente non loin du camp humanitaire de la Chapelle. A la fatigue de son voyage depuis son pays, s’ajoute l’inconfort de ses nuits parisiennes entrecoupées de réveils violents. Mais à ce jour, il n’avait pas réussi à décrocher une date d’entrée dans le centre humanitaire.

En soirée, ceux qui entraient sous les tentes de la halle Pajol n’avaient pas tous non plus le précieux ticket avec un rendez-vous pour entrer dans le centre humanitaire. Pour en finir avec les cohues matinales, avec la tentation de dormir devant le lieu pour essayer d’y être accueilli dans la journée, Emmaüs Solidarité, son gestionnaire, a décidé de mettre en œuvre ce système.

Un espace symbolique

Ahmed espérait pouvoir rester à Pajol, sous une tente, jusqu’à vendredi matin, date de sa convocation au centre humanitaire du boulevard Ney. Rien n’est moins sûr puisque dès 20 h 40, deux policiers sont venus prévenir qu’ils allaient déloger l’installation. Trois cars de CRS ont suivi vers 23 heures. L’espace était trop symbolique pour perdurer : c’est là que se sont organisés les premiers campements parisiens de migrants à l’été 2015.

En regardant la police arriver, Bayeh et ses amis éthiopiens se moquaient bien de cette charge symbolique. Eux ne rêvaient que d’éviter le froid et la pluie pour la nuit. Si leur souhait n’est pas exhaussé, une amélioration du camp humanitaire se profile pourtant à l’horizon. La préfecture de région serait en effet « sur le point de passer de 50 à 70 rendez-vous quotidiens d’examen des situations administratives des migrants », rappelait, la veille, le porte-parole d’Anne Hidalgo.

Le nombre d’entrée dans le camp humanitaire est en effet conditionné par la capacité de la préfecture à étudier les dossiers. « La préfecture de région a entendu nos remarques. Cette augmentation devrait être instaurée dans les jours qui viennent », ajoute-t-on à la mairie de Paris. Le 19 janvier, le Centre d’Ivry, destiné aux familles va ouvrir ses portes. Il arrivera en complément de l’hébergement offert aux hommes seuls porte de la Chapelle ; et à terme, 400 places y seront disponibles pour les familles.