La nouvelle passerelle en verre conçue par l’architecte Bruno Gaudin. | Jean-Christophe Ballot

Un rayon de soleil éclaire la rue Richelieu. L’appareillage de pierre blonde, enfin ravalé sur 170 mètres de long, du site historique de la Bibliothèque nationale (BN), redonne de la lumière à ce boyau très fréquenté reliant la Bourse au Louvre et à la Comédie-Française. Désormais, au cœur de ce Paris de la culture et des arts, l’imposante façade néoclassique dressée en 1872 par l’architecte Henri ­Labrouste, pour fermer l’ensemble hétéroclite de la bibliothèque impériale, ­exhibe fièrement sa beauté retrouvée. Le grand porche d’entrée du 58, rue de ­Richelieu est rouvert au public, avec portique de sécurité, Vigipirate oblige.

La cour d’honneur, encombrée des ­baraques nécessaires à la poursuite des travaux, illustre l’ampleur des opérations encore à venir : la moitié du quadrilatère reste à restaurer. Dans la cour, face au porche, la belle façade XVIIIe de ­Robert de Cotte a gardé de grands carreaux en verre soufflé – des vitrages ­contemporains fabriqués à l’ancienne –, comme l’exigeait Jean-François Lagneau, architecte en chef des monuments historiques qui veille à la perfection de la restauration dans les règles de l’art.

Un décor éblouissant

Le hall d’accueil des visiteurs, aux lambris de pierre à médaillons de marbre rose, a été affublé d’un lustre incongru à paillettes métalliques. Ce vestibule donne sur la fameuse salle de lecture ­Labrouste, fermée depuis près de vingt ans, et désormais dévolue à l’histoire de l’art – 150 000 ouvrages en accès libre pour les étudiants et les chercheurs. A peine rouverte, elle fait le plein, dans un silence religieux. Les têtes penchées ne se laissent pas distraire par l’éblouissant décor de l’hémicycle aux couleurs retrouvées. Jean-François Lagneau lui-même n’en revient pas de « la vivacité du fuchsia, couleur typique des années 1870, choisie par Labrouste, qui aimait le style Napoléon III. J’ai eu la prétention de ne faire que le ménage, ce qui n’avait pas été fait depuis plus d’un siècle. On s’est ­contenté d’enlever la crasse. »

Labrouste, à l’avant-garde

Décor en voûte et en trompe-l’œil, les frondaisons vert cru se détachent sur un ciel éternellement bleu. La salle est éclairée comme en plein jour. « La luminosité étonnante vient d’en haut par les oculi, souligne ­l’architecte en saluant l’avant-garde de ­Labrouste qui a simulé la ­lumière ­naturelle, et fait « souffler l’air chaud par les bouches grillagées du sol et les calorifères. Des tubes passaient sous les tables pour réchauffer les pieds ». Un dispositif inventif réutilisé aujourd’hui pour ventiler l’espace. L’ensemble du mobilier a été conservé, jusqu’aux chaises, dont l’assise est renforcée, et équipé d’écrans dernier cri.

Avec son mobilier de style Louis XV, la salle des manuscrits qui a été restaurée resplendit, elle aussi, au premier étage

Retour dans le hall d’entrée, desservant, aussi, la salle Ovale dessinée par l’architecte Jean-Louis Pascal (1837-1920), élève de Charles Garnier. Spectaculaire dans son décorum et non encore restaurée, cette immense salle de lecture sera ouverte au grand public en 2020. On y accède par un vestibule dans lequel trône un escalier monumental. Encombrant, il sera détruit, bien qu’inscrit à l’inventaire des monuments historiques, et remplacé par une passerelle hélicoïdale signée Bruno Gaudin. L’Etat a tranché et même Jean-François Lagneau, réticent au ­départ, en convient : « Cet escalier n’est pas fonctionnel, il en “jette”, mais il est gratuit. Si l’on considère l’ensemble du quadrilatère, c’est un détail. »

Au premier étage, la salle des manuscrits restaurée resplendit elle aussi. Elle est dans son jus. Le mobilier de style Louis XV est intact, comme les escaliers en colimaçon accédant aux réserves. Là encore, un simple nettoyage fut nécessaire. De la même manière, ça le sera dans l’enfilade des pièces poussiéreuses qui restent à restaurer, de sept mètres sous plafond, du département des monnaies et médailles, où sont alignées les consoles-portefeuilles conservant à l’abri des regards ce trésor public. Le bon état du mobilier impressionne.

Deux charmantes rotondes

Le plus spectaculaire est le salon Louis XV, formidable vestige figé dans l’oubli. Louis XIV et Louis XV se font face, deux portraits monumentaux régnant sur ce mobilier XVIIIe qui provient de l’hôtel de Nevers – démoli par ­Labrouste – et qui ne demande qu’un peu d’encaustique pour briller. Seule franche nouveauté, la salle de lecture et sa riche bibliothèque dévolue à l’Ecole des chartes, ensemble résolument ­moderne, comme l’est l’espace de style scandinave réservé aux arts et spectacles. Ces deux créations ont aussi leur note historique : deux charmantes ­rotondes. L’une dédiée aux spectacles rassemble costumes et masques sous le regard d’une rayonnante Sarah Bernhardt. L’autre, dite de Voltaire, abritait son beau portrait sculpté par Houdon. Le cœur du philosophe des Lumières est conservé dans une cassette, dissimulée dans le ­socle de la statue. Il y est toujours. Mais Voltaire préside aujourd’hui les séances du salon d’honneur de la BN.

Trente-trois ans ont passé, depuis le rapport de 1983 d’André Chastel, pour aboutir au sacre de l’histoire de l’art dans la salle Labrouste. Jack Lang reconnaît que « la bagarre entre les institutions fut rude. Jamais je n’ai consacré autant de temps à un projet face aux résistances multiples, chacun se recroquevillant sur ses ergots ». Et l’ancien ministre de François Mitterrand d’évoquer « la longue marche qui, pour être victorieuse, réclamait de la conviction, de l’entêtement, afin que l’histoire de l’art soit reconnue ».

Le 16 janvier 1992, Jack Lang signait une note à François Mitterrand : « Le moment est venu d’annoncer ce projet qui nous est cher : la création d’une bibliothèque nationale des arts… » Les imprimés iront à ­Tolbiac, les arts à Richelieu. En 2017, c’est chose faite. « Voilà la démonstration dans ce domaine qu’il faut avoir la vue longue », assure Jack Lang.

Cet article fait partie d’un dossier consacré à la rénovation du site Richelieu, réalisé en partenariat avec la BNF, l’Institut national d’histoire de l’art et l’Ecole des chartes.