Il souhaite « tracer son chemin » à droite entre Marine le Pen et François Fillon. Nicolas Dupont-Aignan était l’invité de Fabien Namias dans la matinale d’Europe 1, mardi 10 janvier. D’inspiration gaulliste et souverainiste, le candidat à l’élection présidentielle a présenté les grandes lignes de son programme.

Il s’est notamment attaqué au travail détaché. Il s’agit d’une directive européenne (régulièrement accusé de « dumping social ») qui permet à des travailleurs d’un pays de l’Union européenne de travailler dans un autre pays membre, tout en continuant de payer les cotisations sociales dans le pays d’origine, comme l’expliquait cet article des Décodeurs.

Dans ce cas précis, ses arguments sont pour le moins approximatifs et exagérés.

CE QU’IL A DIT

« Les travailleurs détachés qui ne payent pas de charges sociales en France [c’est] 500 000 emplois perdus. »

Critique qu’il a réitérée quelques minutes plus tard :

« J’en ai assez de la démission des autorités publiques françaises. L’abrogation de la directive travailleurs détachés [c’est] 500 000 emplois que l’on peut récupérer. »

Nicolas Dupont-Aignan : "Mon ennemi, c'est la gauche !"
Durée : 11:07

« 500 000 » travailleurs détachés ?

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Si la France est l’un des pays de l’Union européenne qui accueille le plus de travailleurs détachés étrangers, leur nombre officiel est presque deux fois inférieur à celui qu’avance Nicolas Dupont-Aignan. Il s’élevait à 285 025 en 2015, selon la Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI). Pour obtenir « 500 000 emplois », le candidat de Debout la France y ajoute sans doute les salariés « low cost » n’ayant pas fait l’objet de déclaration, entre 220 000 et 300 000, selon les dernières estimations (un rapport du sénat de 2013).

Sauf que cette estimation vaut pour l’année 2011. Si on y ajoute le travail détaché officiel et déclaré cette année-là (144 411 salariés), on obtient un total situé entre 364 000 et 444 411 travailleurs pour 2011. Le compte n’y est toujours pas.

En l’absence d’étude plus récente, impossible de savoir ce que représente actuellement le travail « détaché » non déclaré. A noter qu’une partie de l’augmentation du nombre de travailleurs détachés légaux entre 2011 et 2015 est due aux entreprises qui ont fini par régulariser leurs détachements (notamment à la suite du Plan national de lutte contre le travail illégal 2013-2015 du gouvernement et de l’adoption d’une directive européenne plus restrictive en avril 2014).

Des équivalences « emplois » ?

POURQUOI C’EST FAUX

Nicolas Dupont-Aignan n’évoque pas seulement le nombre de travailleurs détachés, mais parle « d’emplois », qui pourraient être « récupérés ». Or le détachement concerne « une période limitée », comme le définit la directive. Limite fixée à 24 mois dans le cas français, mais qui est souvent bien inférieure.

Pour l’année 2014, la CNLTI estimait le volume total d’emploi du travail détaché à 9,7 millions de jours, pour 230 000 salariés concernés. Soit environ 42 jours d’emploi par travailleur détaché en moyenne. Ce qui ne correspond donc pas à 500 000 emplois équivalent temps plein, comme le suggère le candidat de droite, mais à 42 000, selon l’estimation du ministère du travail. Soit douze fois moins.

Des postes à « récupérer » ?

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Deux éléments viennent contredire l’affirmation selon laquelle abroger la directive permettrait une création nette d’emplois nationaux équivalente au nombre de détachements étrangers supprimés.

  • Des secteurs « en tension » : ces postes sont pour une grande part d’entre eux répartis dans des secteurs où les emplois, souvent précaires et temporaires, sont difficiles à pourvoir : la construction (27 %), les entreprises de travail temporaire (25 %) ou encore l’hôtellerie-restauration (2 %), selon la direction générale du Trésor.

  • Les Français en profitent aussi : si la France accueille beaucoup de travailleurs détachés, elle se classe également au troisième rang des pays européens qui détachent le plus de travailleurs à l’étranger. Selon un document de la CNLTI daté de 2015, 200 000 Français travaillent ainsi ponctuellement dans d’autres pays européens. En cas d’abrogation, l’existence de ces postes sera de facto remise en cause.