Le premier prototype d'éolienne à voile, inauguré en juin 2013 à Grande-Synthe, près de Dunkerque. | PHILIPPE HUGUEN/AFP

Créer un million d’emplois d’ici 2020, par la mise en œuvre de la transition écologique, par la lutte contre les émissions des gaz à effets de serre, c’est possible et souhaitable. Tel est le constat que livrent, dans un rapport publié jeudi 12 janvier, plusieurs associations – ATTAC, Réseau action climat (RAC), Les Amis de la Terre, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Alternatiba, Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), etc. – et syndicats – Solidaires, FSU, Confédération paysanne.

A quelques mois de l’élection présidentielle, ce « million d’emplois pour le climat » résonne comme un slogan, mais le rapport est d’abord issu d’un travail approfondi, réalisé secteur par secteur, et reprenant les nombreuses études déjà réalisées sur les emplois verts, ou le poids économique et social de la transition écologique.

Ainsi, l’Organisation internationale du travail (OIT) chiffrait à 60 millions d’emplois le gain apporté par « la transition vers l’économie verte », dans un rapport publié en 2012. En France, le chercheur au Cired Philippe Quirion a réalisé en 2013 une évaluation du scénario négaWatt, pronostiquant « 632 000 emplois nets en 2030 ». Et, en 2016, l’Ademe livrait une « analyse de l’étude 100 % énergie renouvelable », tablant sur « 896 000 emplois en 2050 ».

Les organisations, cosignataires du rapport, se situent dans la droite ligne de l’Accord de Paris, signé en décembre 2015, à l’issue de la conférence sur le climat, la COP21 : il y a urgence à investir dans la transition, car le réchauffement menace l’activité économique. Nicholas Stern, ancien vice-président de la Banque mondiale estimait en 2006, dans un rapport, que le réchauffement climatique pourrait coûter jusqu’à 5 500 milliards d’euros et détruire des dizaines de millions d’emplois si les gouvernements ne prenaient pas des mesures radicales.

Zéro chômeur climatique

Mais pour pouvoir accélérer la lutte contre les changements climatiques, les auteurs du rapport rappellent la nécessité de la prise en compte des impératifs sociaux et économiques, ainsi que le précise d’ailleurs le préambule de l’Accord de Paris. Car, si la mise en œuvre de cette transition est génératrice d’emplois, elle va aussi en détruire. « Il ne doit pas y avoir de chômeur climatique, que ce soient des personnes qui perdent leur emploi à cause des dérèglements climatiques, catastrophes, etc., ou que ce soient des chômeurs provenant de secteurs en voie de disparition du fait de la transition, comme les énergies fossiles », explique Maxime Combes, d’Attac.

« Un salarié d’une centrale à charbon qui perd son emploi dans le Nord ne pourra pas travailler le lendemain en tant qu’installateur de panneaux photovoltaïques à Marseille », expliquent les auteurs du rapport. Il y a donc urgence, selon les ONG, à préparer et à organiser les transformations et reconversions, d’autant plus complexes en période de crise économique.

L’enjeu de cette « transition juste » est capital car sans prise en compte du volet social il n’y aura pas d’adhésion aux politiques de réduction des émissions de gaz à effets de serre. « Il va y avoir une perte d’emplois liée à la diminution des activités polluantes et pour éviter les blocages dans la mise en œuvre de la transition écologique, il faut prendre en compte, en amont, ses impacts sociaux », avance Meike Fink, du RAC, l’une des auteurs du rapport. Autrement dit par Naomi Klein : « si nous conjuguons justice sociale et action pour le climat, les gens se battront pour cet avenir ».

Sept mesures pour un million d’emplois

Reprenant la campagne lancée au Royaume-Uni, en 2014, One million climate jobs, par un mouvement citoyen, Campaign Against Climate Change – reprise dans d’autres pays, Afrique du Sud, Portugal, Canada, Norvège, etc. –, les associations françaises ont fait leurs calculs. Elles présentent sept mesures qui permettraient de créer un million d’emplois, dont 100 000 emplois dans le service public, 250 000 emplois aidés labellisés « transition écologique » et 650 000 dans les secteurs privés de la transition écologique. Elles ont chiffré l’effort financier d’investissement à 104,7 milliards d’euros par an.

En fait, expliquent les auteurs du rapport, il faut aussi prendre en compte la destruction d’emplois, qui atteindrait le chiffre de 446 000, notamment dans les secteurs de l’automobile (85 000), du bâtiment (124 000), des produits pétroliers (25 000), liés aussi à l’abandon du nucléaire (76 000), du fret routier (31 000) ou encore de l’agriculture traditionnelle (30 000).

Mais ces pertes seraient largement compensées par les créations nettes d’emploi dans un grand nombre de secteurs : bâtiment et rénovation (350 000 emplois), énergies renouvelables (330 000), action sociale (230 000), réparation de biens domestiques, recyclage (130 000), fabrication industrielle dans des secteurs compatibles avec la transition (110 000), agriculture paysanne bio (50 000).

Certes, l’approche est macroéconomique, reconnaissent les auteurs du rapport, et il peut donc y avoir surestimation ou sous-estimation des réalités de terrain. Mais l’ordre de grandeur et les méthodes de calcul sont conformes au travail qu’avait réalisé M. Quirion sur l’impact de la transition énergétique sur l’emploi, le scénario négaWatt.

Manque de volonté politique

La transition écologique rapporte plus, économiquement, qu’elle ne coûte. Mais il manque la volonté politique et la force de conviction, expliquent les organisations coproductrices du rapport. « Il ne suffit pas de fonder des entreprises qui construisent des éoliennes si personne ne veut les installer sur son territoire. Il ne suffit pas de créer des infrastructures de vélo si l’utilisation du vélo est considérée comme dangereuse par une majorité de personnes. (…) Il faut construire des éoliennes et des trains, il faut rénover des “passoires énergétiques” mais il faut aussi aller voir les gens là où ils sont », plaident-elles.

L’argent pour financer cette transition et la création du « million d’emplois » existe. Les niches fiscales en faveur des énergies fossiles représenteraient 10 milliards d’euros par an, l’évasion et la fraude fiscale, de 30 milliards à 160 milliards d’euros, le coût de la privation d’emploi, 36 milliards, etc. Le financement de ces emplois est donc possible.

Les associations et syndicats à l’origine de ce rapport veulent aussi montrer qu’« une transition écologique riche en emplois de bonne qualité est possible ». Ils espèrent que, dans le cadre notamment de l’élection présidentielle, le débat s’ouvrira, territoire par territoire, secteur par secteur.