Des employés de la Sky nettoient le bus de l’équipe durant le Tour de France 2016. | FABRICE COFFRINI / AFP

Il y eut une époque, pas si lointaine, où Dave Brailsford, grand manitou de l’équipe Sky, quadruple gagnante du Tour de France avec Bradley Wiggins en 2011 puis Chris Froome (2013, 2015 et 2016), pouvait regarder dans les yeux ses interlocuteurs abordant la question du dopage et répondre calmement : « Vous avez parfaitement raison de poser cette question, c’est votre droit. » Voire suggérer à la presse, comme il le fit un jour dans la petite salle de réception d’un hôtel d’Orange, de lui dire quoi faire pour prouver la probité de son équipe. « Aidez-moi ! », avait ainsi lancé le crâne chauve le plus célèbre du cyclisme mondial.

Est-ce vraiment le même homme qui, mardi 10 janvier, dans un hôtel de Majorque, n’a su se dépêtrer des questions des télévisions britanniques (voir les interviews de la BBC ou ITV) ? Ces circonlocutions, hésitations, ballets de mains, clignements d’yeux répétés trahissaient le malaise d’un homme que l’aura, forgée en deux décennies au service du cyclisme britannique, ne préserve plus des questions dérangeantes de la presse nationale. Reconnaissons-lui cette circonstance atténuante : quand il n’y a pas de bonne réponse possible, l’exercice de l’interview est toujours plus difficile.

Dave Brailsford est au bord du précipice et l’équipe Sky avec lui. L’équipe britannique va continuer à gagner cette saison, sans doute même le Tour de France, mais il faudra, en toutes circonstances et, encore plus qu’avant, douter de ce qui sort de la bouche de ses responsables.

Après l’affaire des inexplicables – et mal expliquées – autorisations à usage thérapeutique dont a bénéficié Bradley Wiggins au sommet de sa carrière chez Sky, l’armada britannique se débat désormais avec les doutes entourant une livraison à destination du même Wiggins, à l’issue d’une course préparatoire au Tour de France 2011. Dresser la liste des mensonges et des omissions de Dave Brailsford à propos du contenu de ce petit paquet serait fastidieux.

Trop de questions sans réponse rationnelle

Le manageur de l’équipe Sky, Dave Brailsford, le 30 juin 2016. | JEFF PACHOUD / AFP

Il a fallu deux mois et demi, l’ouverture d’une enquête par l’Agence antidopage britannique (UKAD) et l’audition par une commission parlementaire pour qu’il donne une réponse. Devant les parlementaires, Dave Brailsford a affirmé que le colis contenait du Fluimucil, un décongestionnant nasal autorisé, disant tenir cette information de l’ancien médecin de l’équipe Richard Freeman. Sky n’a pu fournir aucun document confirmant ses dires. Et personne n’a de réponse rationnelle aux questions suivantes :

  • pourquoi un employé de la Fédération britannique de cyclisme, qui n’est pas liée officiellement à l’équipe Sky, s’est-il chargé de la livraison ?
  • pourquoi un aller-retour au coût approchant 600 livres entre Manchester et La Toussuire (Savoie) a-t-il été nécessaire pour livrer un médicament disponible en France, sans ordonnance, pour environ 8 euros ?
  • pourquoi la Sky a-t-elle attendu quatre jours, délai nécessaire à la récupération du colis et à sa livraison en main propre, pour soigner les encombrements de Bradley Wiggins – par ailleurs vainqueur de ce Critérium du Dauphiné –, plutôt que d’acheter un médicament sur place ?
  • pourquoi le livreur, Simon Cope, ami de Bradley Wiggins, ne s’est jamais demandé ce que contenait le colis qu’il a trimballé durant quatre jours ?
  • pourquoi Dave Brailsford, apparemment soucieux du moindre détail, ne sait-il pas ce qui est administré à son coureur vedette à trois semaines du Tour de France, en sa présence ?
  • pourquoi Dave Brailsford a-t-il tout tenté pour empêcher la publication de l’article original du Daily Mail, y compris donner des informations au journaliste en échange de son silence, si le colis ne contenait qu’un simple décongestionnant ?
  • si vraiment il s’agit de Fluimucil, a-t-il été administré en inhalation, pour soigner un rhume, ou en perfusion, pratique interdite depuis 2011 mais utilisé auparavant pour favoriser la récupération des coureurs ?

Les deux principaux intéressés, Richard Freeman et Bradley Wiggins, restent murés dans le silence ; Wiggins n’en sortant que pour officialiser sa retraite entre le pudding de Noël et les crackers de la Saint-Sylvestre, annoncer sa participation à une émission de télé-réalité et provoquer ses détracteurs sur Instagram. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne doivent, eux aussi, répondre aux questions des parlementaires britanniques.

Merry Christmas people #dicko #loveya #onelove

Une photo publiée par Sir Wiggo (@bradwiggins) le

Froome refuse de soutenir Brailsford publiquement

En attendant, Dave Brailsford est en première ligne et chacune de ses interventions ne fait qu’épaissir le mystère et écorner son image, jusqu’ici immaculée en Grande-Bretagne. David Kenworthy, patron de l’Agence antidopage britannique, a jugé les (non) réponses du patron de la Sky « extraordinaires » et « très décevantes » ; ce qui lui a valu une lettre officielle de protestation de Brailsford lui-même. Christopher Froome, lui aussi, prend ses distances.

Christopher Froome, félicité par Brailsford après son deuxième succès sur le Tour de France en 2015. | LIONEL BONAVENTURE / AFP

Le Kényan d’origine n’a jamais dissimulé son état d’esprit de franc tireur vis-à-vis de l’organisation Sky. Le triple vainqueur du Tour de France avait été très prompt à se distancier de Bradley Wiggins, avec qui il n’a jamais entretenu de bonnes relations. Et il sait que, avant qu’il ne prenne la deuxième place du Tour d’Espagne 2011, comme par magie, Dave Brailsford n’aurait eu aucun remords à ne pas reconduire son contrat.

Vendredi dernier, lors d’une rencontre avec la presse à Monaco, « Dave » est devenu dans la bouche de Froome « Dave Brailsford, le manageur de l’équipe ». Interrogé sur le fait de savoir si le manageur avait toujours la crédibilité nécessaire pour diriger le projet Sky, Froome a répondu : « Ce n’est pas à moi de le dire. » Puis, relancé sur cette question : « Il faut le lui demander. Je ne sais pas ce qu’il va répondre. »

Froome soutient Brailsford comme la corde le pendu, et ce dernier le sait. Question qui lui furent posées mardi :

« Votre relation n’a pas souffert de ce qui s’est passé ces derniers mois ?

– Nos projets pour l’avenir et pour le Tour de France sont toujours aussi solides.

– Mais votre relation est-elle la même ?

– [Hésitation] Je ne vois pas de problème.

– Pensez-vous avoir toujours son soutien ?

– J’ai confiance dans le fait que nous irons sur le Tour de France pour faire de notre mieux pour…

– Ce n’est pas ma question. Pensez-vous avoir toujours son soutien ?

– Comme je vous l’ai dit, je suis fier de ce que je fais et j’ai confiance dans le fait que nous allons continuer à faire les choses de la bonne façon, dans les bonnes courses, c’est ce que nous allons faire. »

S’il doit quitter le cyclisme, Dave Brailsford pourra sans doute se reconvertir dans la politique, suggéraient des internautes sous l’extrait diffusé par la BBC.