La côte atlantique commence à souffler après les assauts de l'océan. Mardi 7 janvier en fin de matinée, Météo-France a levé la vigilance orange « vagues-submersion » sur les huit départements du littoral, tandis que la dépression à l'origine du phénomène s'éloignait vers le Nord. 

Lundi soir, à marée haute, des vagues atteignant près de 12 mètres de haut avaient touché différentes villes côtières. A Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), où deux personnes sont portées disparues, les déferlantes ont touché un casino et brisé des vitres de restaurants. A Treffiagat, dans le pays Bigouden, la dune a été avalée sur 150 mètres de long et six de large par la houle, menaçant une vingtaine d'habitations. Des travaux de renforcement ont été engagés pour contenir la menace d'une brèche.

A Soulac-sur-Mer (Gironde), une zone particulièrement fragile, l'océan a également gagné quatre mètres de dunes ces derniers jours, menaçant à terme quelques habitations dont un immeuble, Le Signal, désormais à 20 mètres à peine d'une falaise de sable, contre 200 m au moment de sa construction dans les années 1960. Un ballet de camions et de pelleteuses est orchestré depuis la semaine dernière à marée basse pour tenter de protéger la résidence de l'écroulement. 

L'immeuble Le Signal, à Soulac-sur-mer, n'est plus qu'à 20 mètres à peine d'une falaise de sable. | AFP/JEAN PIERRE MULLER

UN QUART DES CÔTES RECULE

Si le littoral est aujourd'hui si vulnérable, c'est en raison de l'élévation du niveau des mers liée au changement climatique, mais surtout des phénomènes d'érosion des côtes et de submersion marines, estime Patrick Bazin, responsable du département de la gestion des sites du Conservatoire du littoral.

Aujourd'hui, un quart du trait de côte métropolitain, soit 1 720 km, recule du fait de l'érosion marine, alors que moins d'un dixième « s'engraisse » en gagnant des terres sur la mer, selon les statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD).

« L'érosion est un phénomène naturel millénaire qui s'est aggravé ces dernières décennies en raison des activités humaines, explique Sébastien Colas, de l'Observatoire du littoral et de la mer. Les constructions sur le littoral, comme les ports, digues ou épis, bloquent les mouvements des sédiments mobiles portés par les courants marins, tandis que les barrages sur les fleuves empêchent les sédiments d'arriver en mer. Au final, la mer gagne sur les plages de sable et sur les falaises calcaires. »

L'AQUITAINE, PARTICULIÈREMENT TOUCHÉE

La région la plus touchée est l'Aquitaine, devant Poitou-Charentes (avec notamment l'île de Ré), les Pays-de-la-Loire et la Bretagne. En Aquitaine, la côte sableuse longue de 238 km, recule ainsi en moyenne de 1 à 3 mètres par an (m/an), avec des pointes de 6 à 10 m/an, comme c'est le cas en certains endroits de Soulac-sur-Mer, selon les chiffres du groupement d'intérêt public (GIP) Littoral aquitain.

La maison de l’Amélie, à Soulac-sur-Mer (Gironde), toute proche du vide en raison de l'érosion. Lundi 6 janvier, des engins travaillaient à renforcer la falaise de sable. | AFP/JEAN-PIERRE MULLER

Une étude sur les perspectives d'érosion de la côte aquitaine publiée par cet organisme qui regroupe les collectivités territoriales et l'Etat montre que la situation ne va pas s'arranger. L'évolution de l'aléa d'érosion indique que, à l'horizon 2020, 79 km de la côte sableuse (33 %) seront touchés par un aléa moyen (recul de moins de 2 m/an) et 34 km (14 %), par un aléa fort, soit plus de 2 m/an. En 2040, 150 km seront touchés par un aléa moyen à fort, soit 2 233 hectares, principalement des espaces naturels et forestiers, mais aussi des zones d'activités, de loisirs, et des habitations.

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RISQUE DE SUBMERSION

Conséquence : les risques de submersion sont en hausse. « Avant, quand les tempêtes touchaient la côte, elles inondaient surtout des marais ou des zones agricoles, note Patrick Bazin. Aujourd'hui, l'urbanisation en dur s'est accélérée sur le littoral avec son attrait grandissant, ce qui a accru les risques d'inondations des habitations et des équipements. »

Selon le CGDD, 153 000 logements étaient à moins de 250 mètres de côtes en recul en 2006 (en augmentation de 7 % depuis 1999) et 800 000 personnes habitaient en zone basse, essentiellement dans le Nord-Pas-de-Calais.

PLANS DE PROTECTION MAIS IMBROGLIO JURIDIQUE

Depuis le passage de la tempête Xynthia, qui a fait 53 morts, dont 35 dans le seul département de la Vendée, et de nombreux déplacés suite aux inondations, de nouvelles actions ont été menées pour enrayer l'érosion du trait de côte. Un plan digue a été mis en place en février 2011 avec, à la clef, 500 millions d'euros d'aides du Fonds prévention des risques naturels majeurs (Fonds Barnier) sur cinq ans afin de renforcer les protections et systèmes d'alerte.

Fin décembre 2012, cinq collectivités locales de métropole et d'outre-mer ont également été retenues par un appel à projets du ministère de l'écologie, dans le cadre d'une stratégie nationale de gestion du trait de côte, pour mener des démarches pilotes de relocalisation des activités et des biens menacés par les risques littoraux. Leur démarche sera financée à hauteur de 600 000 euros sur deux ans. Le GIP Aquitaine, qui porte un projet pour les communes de Lacanau, la Teste-de-Buch (33) et Labenne (40), rendra les premières conclusions de faisabilité à la fin de l'année.

Une digue de rochers construite à Soulac-sur-mer. | AFP/JEAN PIERRE MULLER

Sept autres secteurs de la région ont par ailleurs été identifiés par le GIP pour mettre en place des plans d'action (construction d'ouvrages, rechargement sédimentaire, etc.) pour lutter contre l'érosion. « Le problème reste le financement : les plans d'action se chiffrent à plusieurs millions d'euros par commune. Ces dernières ne peuvent pas en supporter seules la charge. L'Etat doit nous aider », alerte Renaud Lagrave, président du GIP et vice-président du conseil régional d'Aquitaine.

Le problème, c'est qu'au nom d'une loi de 1807, l'Etat n'a pas d'obligation de protéger le trait de côte – même s'il peut se décider à intervenir. Ce sont à ceux des propriétaires qui bénéficient d'une protection de payer. « Mais souvent, les habitants ne peuvent ou ne veulent pas le faire, rétorquant que les pouvoirs publics ont accepté leurs permis de construire, souligne Patrick Bazin. On se situe alors dans un imbroglio juridique pour savoir qui doit payer les travaux ainsi que les indemnités pour les propriétaires obligés d'abandonner leur maison : les habitants, les collectivités ou l'Etat ? » Pendant ce temps, les plans mis en place restent bloqués, risquant l'ensablement.