Je me réjouis qu’un sommet international se tienne à nouveau au Mali. C’est l’occasion pour moi de revenir sur les années que nous venons de traverser.

A Bamako, les expatriés que nous sommes ont vécu une période particulièrement stressante en 2012 et 2013, avec le putsch et l’occupation progressive du nord du pays par les combattants de retour de Libye, puis par les djihadistes. Grâce à l’intervention française de la force Serval en janvier 2013, la situation s’est calmée au sud du pays et notamment à Bamako.

Consignes alarmantes

Nous essayons depuis quatre ans de reprendre une vie normale, paisible, comme elle l’a toujours été au Mali. Mais les consignes de sécurité alarmantes émises par le consulat et les « conseils aux voyageurs » dissuasifs du site du Ministère des affaires étrangères entament sérieusement notre joie de vivre et nos libertés.

En effet, nous recevons très régulièrement des alertes sécuritaires sur nos mails et parfois par SMS. On ne sait pas comment elles s’alimentent, mais elles ont un pouvoir considérable sur notre quotidien. Elles s’expriment comme des conseils ou des ordres, selon l’organisme pour lequel on travaille : « Ce week-end ne sortez pas de Bamako »/« Ne vous déplacez pas la nuit »/« Evitez les lieux publics »/etc. De plus, ces consignes de sécurité (CDS) divergent selon les pays et les services, créant des situations parfois cocasses.

Les Américains ont eu le « droit » d’aller au festival de Ségou, pas les Français. Du coup nous y croisons des Français masqués, marchant à couvert de peur d’être reconnu par leur hiérarchie, alors que les Américains faisaient bruyamment et publiquement la fête.

Passagers d’Air France atterrés

De même, l’équipage d’Air France, après avoir déposé ses passagers choyés pendant le vol Paris Bamako, s’en va dormir à Dakar ou à Abidjan, car Bamako est trop dangereux pour eux ; laissant ces mêmes passagers atterrés !

Et que dire du résultat des « recommandations » (qui sont pour certains des obligations) du consulat, d’aller dans tel ou tel hôtel parce qu’ils sont les plus « sécurisés » ? En effet, ce sont ceux qui finissent par devenir les plus dangereux de par leur fréquentation. C’était le cas du Radisson.

Et puis le vendredi soir, on retrouve nombre d’expatriés dans des maquis (gargotes de plein air). Aucune sécurité, pas même de porte, au diable ces fichus CDS ! On pourrait bien se croire dans la série « Kaboul Kitchen », à Bamako.

D’autre part, la rubrique « conseils aux voyageurs » du site du Ministère des affaires étrangères prodigue depuis 2009 des « conseils » terriblement dissuasifs. A l’heure d’aujourd’hui, Bamako est en zone orange ce qui signifie : fortement déconseillé sauf raison impérative. Les trois quarts nord du pays, dont le pays dogon, sont en rouge : formellement déconseillé.

« Restez en France ! »

Les conséquences de la sévérité de ces consignes sont énormes. Il faut bien les mesurer : nos familles et nos amis hésitent à venir nous rejoindre. Les candidats à l’expatriation deviennent plus rares et plus exigeants, ce qui freine le développement de nos activités. Bien sûr, le Mali est le grand perdant de tout cela. Mais nous perdons aussi en France des vocations à l’expatriation. Souvenons-nous que le Mali accueillait très chaleureusement et sur tout son territoire des centaines d’associations et d’ONG françaises. Toutes ces personnes qui exprimaient par là un besoin d’agir à l’étranger reçoivent ainsi le conseil de rester sur le territoire national.

En zone orange, à Bamako ou Ségou, nous sommes des milliers d’Occidentaux à vivre à l’année, sans protection…

A quoi servent ces consignes et conseils ? Nous protègent-ils vraiment ?

Le consul de France a envoyé dernièrement un SMS nous demandant de rester chez nous en raison d’une menace de prise d’otage. Pense-t-il que les preneurs d’otages s’arrêteront à la porte de nos maisons ? Du reste, il n’y avait pas de consignes particulières quand ont eu lieu les attentats.

Est-ce aussi dangereux que cela de vivre à Bamako, comme tendent à nous le faire croire ces messages alarmistes ?

Une chose est sûre : depuis 2009, il y a eu bien plus d’Occidentaux morts pour raison de santé ou d’accident de la route que du fait des djihadistes. En retournant au pays dogon en 2014 avec mes enfants, j’ai vu dans un village un couple de retraités français qui vivaient là à l’année, sans autre protection que les amitiés nouées localement. On aurait pu les enlever avec des pinces à linges. Ce qui ne s’est pas produit. Cela, à mon sens, relativise les risques pour un voyageur de passage. Et ils ne sont pas les seuls à vivre en zone rouge. En zone orange, à Bamako ou Ségou, nous sommes des milliers d’Occidentaux à vivre à l’année, sans protection…

L’établissement de l’auteur de ce texte propose des excursions, et du canoé sur le fleuve Niger, comme sur cette photo. | DR

Mais il est néanmoins « fortement déconseillé d’y venir sauf raison impérative », dixit le Quai d’Orsay. Pourquoi un tel leitmotiv sécuritaire de la part de ce ministère ?

Tout d’abord, je signale au passage un conflit d’intérêt : les fonctionnaires de l’ambassade ont des primes de risques qui sont fonction du niveau de dangerosité du pays. Ils ont donc un intérêt financier à les majorer. D’autre part, ils ne veulent prendre aucun risque pour leur carrière en cas d’incident : prudence compréhensible mais lourde de conséquences pour les milliers de familles qui vivent et travaillent dans le pays.

Rassurer les visiteurs à Paris

Et sans vouloir jouer les Don Quichotte, je me demande s’il est tout à fait légal (à défaut d’être fair-play), de colorier ainsi le monde en trois couleurs. Mais je préfère laisser aux juristes internationaux le loisir de se pencher sur la question.

Ce qui est édifiant, c’est qu’à Nice, après l’attentat du 14 juillet, ni le préfet ni le maire n’ont jugé opportun de placer le département ou la ville en zone orange (zone fortement déconseillée de s’y rendre sauf raison impérative, je le rappelle). Et comme on les comprend : le cauchemar rien qu’à l’idée des réactions des commerçants…

Paris a connu des attentats autrement plus graves qu’à Bamako. Mais la maire Anne Hidalgo, au lieu d’entretenir la psychose, a fait son possible pour rassurer les visiteurs étrangers et les Parisiens. Et je pense qu’elle a raison : c’est comme ça que la paix reviendra, au moins dans nos esprits, pour commencer.

Cela vaut bien de prendre quelques risques, n’est-ce pas ?

« Comment vit-on dans un pays aussi dangereux » ? me demande-t-on souvent en France en parlant du Mali. Je réponds invariablement : « Je ne savais pas qu’il était aussi dangereux ».

Hervé Depardieu est artisan et bâtisseur d’un écolodge.