La « School of Oriental and African Studies » (SOAS) en mars 2004. | C Ford / CC BY-SA 3.0

« They Kant be serious ! », titre le Daily Mail. Et le tabloïd britannique de dénoncer : « Des étudiants de l’université de Londres demandent que des philosophes tels que Kant ou Platon soient exclus des programmes sous prétexte qu’ils sont blancs. »

Depuis trois jours, le débat enflamme la presse britannique. C’est un syndicat étudiant de la School of Oriental and African Studies (SOAS), l’institut de l’université de Londres spécialisé dans les études orientales et africaines, qui a mis le feu aux poudres. Plus précisément un document consacré aux « priorités éducatives » soutenues par le syndicat. Intitulé « Décoloniser SOAS : face à l’institution blanche », le chapitre litigieux préconise de ne mettre au programme les « philosophes blancs » que si cela paraît indispensable et de les enseigner « d’un point de vue critique ». « Par exemple, en pointant le contexte colonial dans lequel les “philosophes des Lumières” ont élaboré leur pensée. »

Il n’en fallait pas plus pour lancer la polémique. The Telegraph cite Erica Hunter, responsable des cours consacrés aux philosophies et aux religions de la SOAS, qui juge « plutôt ridicule » la position du syndicat étudiant et annonce qu’elle résistera à toute tentative d’écarter des programmes certains philosophes ou certains historiens en fonction de la mode.

« Ignorance »

The Independent fait part, de son côté, de la réaction nuancée de la responsable pédagogique de l’institution, Deborah Johnston. « Nous avons toujours envisagé les grandes questions du point de vue des régions que nous étudions : l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient. C’est un de nos points forts. Le débat éclairé sur les programmes est salutaire et participe pleinement de notre projet académique. »

Grande figure de la philosophie britannique, sir Roger Scruton, cité par le Daily Mail, ne veut voir dans la revendication des étudiants qu’une marque d’ignorance et « la détermination à ne pas dépasser cette ignorance ». « On ne peut pas exclure un pan entier de l’histoire de la pensée sans l’avoir étudié. Et manifestement ils n’ont pas étudié ce qu’ils appellent la “philosophie blanche”. S’ils pensent que la Critique de la raison pure est un produit du contexte colonial, j’aimerais les entendre sur le sujet », déclare l’auteur de l’essai De l’urgence d’être conservateur : pourquoi il faut accepter notre histoire.

Sur le site du Times, Oliver Moody met, de son côté, en garde contre un « puritanisme sans nuances » qui ne peut avoir pour effet que d’appauvrir tout le monde, à commencer par les étudiants, fussent-ils inscrits dans un institut spécialisé en études asiatiques et africaines : « Ce serait un mauvais coup, tant pour le Vedanta et les philosophes arabes que pour les penseurs européens. »

« Acte de barbarie intellectuelle »

Lui-même enseignant en philosophie, Tom Whyman leur répond dans le quotidien The Guardian. « Lisez les articles consacrés à cette affaire et vous serez convaincu qu’un acte de barbarie intellectuelle est sur le point d’être commis. C’est tout bonnement absurde. » S’il est avéré que Kant a exprimé une idée essentielle pour comprendre un aspect de la réalité, alors il doit rester au programme des cours de philosophie dispensés à la SOAS. Les étudiants n’ont pas dit autre chose, fait observer Whyman. Quant au contexte historique et social, qui peut prétendre qu’il n’est pas essentiel pour comprendre, par exemple, comment Hobbes a pu penser l’état de nature à partir des premières enquêtes anthropologiques sur les sociétés amérindiennes ?

Tom Whyman note enfin que la School of Oriental and African Studies est censée enseigner « les philosophies du monde » – tel est l’intitulé d’un bachelor of arts (l’équivalent de la licence) qu’elle propose. « Compte tenu de la nature de ce programme et de la nature de la School of Oriental and African Studies elle-même, il paraît logique que les étudiants tiennent à étudier davantage la pensée asiatique ou africaine plutôt que les philosophes européens. »

Beaucoup de bruit pour rien ?

Jean-Luc Majouret (« Courrier international »)

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