Editorial. Il y a bien longtemps, à la fin des années 1970, la politique se dansait sur un rythme binaire. C’était la règle du quadrille bipolaire : gaullistes et giscardiens à droite, socialistes et communistes à gauche se départageaient au premier tour de la présidentielle et les vainqueurs de chaque camp s’affrontaient au second. Cela se solda par la victoire durable des socialistes à gauche (de Mitterrand à Hollande) et des néogaullistes à droite (de Chirac à Sarkozy).

Ce temps est révolu. La présidentielle se danse désormais sur un rythme ternaire, beaucoup plus sophistiqué et imprévisible. Pour le second tour, trois candidats, en effet, vont se disputer les deux places de finalistes. Ce sera tout l’enjeu de l’affrontement qui va s’engager entre les candidats de la droite, de l’extrême droite et de la gauche : éliminer le maillon faible.

Mais c’est également le cas pour le premier tour. A droite, la primaire de novembre 2016 a arbitré entre trois ambitions, trois caractères et trois projets : contre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, c’est François Fillon qui est sorti vainqueur de la compétition.

Affaiblis et divisés

De même à gauche, les semaines qui viennent vont devoir trancher entre trois propositions. Deux sont dès à présent connues : Jean-Luc Mélenchon, porte-voix de la France « insoumise » d’un côté et Emmanuel Macron, champion de la France « en marche » de l’autre. Le premier entend défendre et réhabiliter des credo qu’il estime bafoués par les socialistes depuis une dizaine d’années.

Le second a l’ambition d’inventer la gauche du XXIe siècle, mobile, moderne et imaginative. Le soutien de l’économiste Jean Pisani-Ferry, jusqu’à hier commissaire général de France Stratégie, un organisme de réflexion rattaché au premier ministre, vient d’assurer à son entreprise un renfort de poids.

Reste à déterminer qui sera le porte-drapeau des socialistes (et apparentés), au terme de la primaire des 22 et 29 janvier. Rude débat en perspective, tant ils apparaissent affaiblis et divisés. Affaiblis parce que les principaux protagonistes – Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Vincent Peillon – ont été associés à l’exercice du pouvoir depuis cinq ans et sont tous comptables du bilan de François Hollande. Ils s’en défendront avec plus ou moins de bonne foi, mais ils portent comme une croix ces cinq années de désillusion, de déception et de discrédit. Ils sont, en outre, divisés par des rivalités personnelles sans fond et sans fin qui donnent à leur compétition les allures d’un combat de coqs et laissent mal augurer de leur rassemblement final derrière le vainqueur de la primaire.

Mais celui-ci ne sera pas au bout de ses peines. A peine désigné, il devra tenter de s’imposer pour apparaître comme le candidat de gauche le plus capable d’affronter la droite et l’extrême droite. Or c’est tout sauf acquis. Chacun admet que, si la gauche présente trois candidats, elle est assurée d’être écartée au soir du premier tour. Longtemps, les socialistes ont pu invoquer le vote utile pour appeler à l’union autour de leur champion. Le risque très sérieux qu’ils courent, aujourd’hui, est de voir l’argument se retourner contre eux.

Mélenchon et Macron ne se sont pas privés de le leur renvoyer : à quoi servirait un candidat socialiste, sinon à faire perdre la gauche ? Cruel renversement de l’histoire. Et démonstration supplémentaire que le jeu politique ternaire peut tourner au jeu de massacre.