A dix jours du premier tour des « primaires citoyennes », il règne un drôle de climat chez les socialistes du Nord. Mélange d’un espoir fébrile de voir se réveiller le peuple de gauche et d’une crainte de réveiller les divisions autour de sept candidats qui ne suscitent pas d’engouement marqué.

Sur le terrain comme sur les réseaux sociaux, la primaire n’occupe pas les débats. Pas encore. A Lille, les premiers tracts ont été distribués la semaine dernière sur les marchés. Il a fallu laisser aux militants le temps de digérer la primaire de la droite puis la période des fêtes. « On ne mélange pas tout, souligne Walid Hanna, l’un des secrétaires du comité de ville du PS à Lille. On a reçu ce mercredi de nouveaux documents. La primaire commence seulement. »

Sarah Kerrich, 24 ans, ancienne animatrice des MJS dans le Nord aujourd’hui secrétaire nationale des Jeunes Socialistes à la riposte, a démarré les porte-à-porte en résidence universitaire mardi soir. Avec une dizaine de camarades, elle a prévu d’aller chaque soir à la rencontre des étudiants. « Les jeunes sont au courant qu’il y a une primaire à gauche, et ce que l’on peut déjà dire, c’est que Valls sera minoritaire chez les jeunes », prédit la socialiste. Elle-même sait qu’elle ne votera pas pour l’ancien premier ministre. Elle hésite encore à glisser un bulletin de vote pour Vincent Peillon. « Parmi les militants, peu se sont décidés. Les gens font un peu leur marché électoral. Ils se décideront deux jours avant le premier tour. » En attendant, Sarah Kerrich est enthousiasmée à l’idée d’entendre à nouveau parler de thèmes chers à la gauche. « On respire en ce moment, dit-elle. On parle de la jeunesse, de la santé, de revenu universel, etc. »

Pas « frondeurs » mais « rouspéteurs »

A Roubaix, grosse section socialiste du Nord (120 inscrits), les militants sont plutôt Montebourg. « Valls, c’est pas notre tasse de thé, reconnaît Mehdi Massrour, secrétaire de la section de Roubaix, encore indécis. Mais il y a Peillon qui monte aussi. » Arnaud Montebourg est venu mi-décembre au couscous organisé par la section. Un repas à 8 euros qui a réuni plus de 200 personnes. « On n’est pas fan des meetings, on préfère pouvoir poser des questions directement aux candidats. Et Montebourg a joué le jeu, il a été très bon », précise le socialiste roubaisien qui aime rappeler que les membres de sa section ne sont pas « frondeurs » mais « rouspéteurs ». Depuis ce banquet, Roubaix attendait les tracts pour mobiliser les citoyens. C’est chose faite depuis hier.

Il faut dire qu’en matière d’organisation, la fédération socialiste du Nord a dû s’adapter aux nouvelles contraintes. Après avoir perdu de nombreux élus aux élections municipales, départementales et régionales, le PS du Nord a vu ses finances mises à mal et son nombre de militants chuter. « A Roubaix, la fédé nous demandait de tenir six bureaux, précise Mehdi Massrour. On en aura sept mais on aurait pu en tenir dix. Ce qui est loin d’être le cas partout car il n’y a pas assez de bras, notamment dans les zones rurales. » Si en 2011, le Nord comptait 385 bureaux pour la primaire, il n’y en aura que 228 (dont 31 pour Lille intra muros) pour les primaires citoyennes de 2017.

« Course à l’échalote »

Martine Filleul, la première secrétaire du PS Nord, en aurait préféré davantage. « L’essentiel est d’avoir la participation la plus grande possible pour nous permettre ensuite de nous fédérer autour d’un candidat ». Selon elle, la primaire de la droite a permis de réactiver le clivage gauche-droite. « Et on a créé une attente par rapport aux candidats de la gauche, précise la candidate aux sénatoriales. Si nous réussissons les trois débats à la télé, les primaires réussiront. » Pour Rémi Hautin, militant socialiste et soutien d’Arnaud Montebourg, cette primaire va permettre « des débats de fond sur ce qu’est la gauche aujourd’hui et sur ce qu’elle doit être demain ».

D’ici là, Martine Filleul, la patronne des socialistes du Nord, ne souhaite pas indiquer pour qui elle votera. Un devoir de réserve pour celle qui souhaite avant tout que chacun puisse s’exprimer librement. Surtout, de nombreux grands élus attendent le deuxième tour pour se positionner. « Beaucoup ne se sont pas exprimés, confirme le conseiller municipal lillois Sébastien Duhem, mandataire du candidat Peillon. La course à l’échalote d’une liste des soutiens des grands élus fait partie des pratiques un peu révolues. Chacun est libre de faire ces choix en conscience. » Caustique, Rémi Hautin, mandataire pour Arnaud Montebourg, ajoute : « Ces primaires, ce n’est pas un congrès du PS. »

Mardi 17 janvier, une dizaine d’élus socialistes de la mairie de Lille (Walid Hanna, Magalie Herlem, Marc Bodiot, Akim Oural…) annonceront leur soutien à Benoît Hamon. Martine Aubry, en retrait de la scène publique pour six semaines suite à une opération du dos ce mercredi, ne devrait-elle non plus rendre public son choix de vote. « Elle a laissé la liberté à chacun de choisir sous la forme de consignes orientées vers la gauche du parti », souligne l’adjointe lilloise Charlotte Brun. « L’enjeu, c’est de ne pas ajouter de la division à la division, résume l’élue à la mairie de Lille, soutien de Benoît Hamon. Nous, les militants, nous sommes un peu échaudés, fatigués, abîmés. On n’a pas envie de donner de l’énergie dans la division. » D’où cette impression d’un certain attentisme chez les militants socialistes. « Mais pas un attentisme cynique, insiste Charlotte Brun. Un attentisme protecteur. »