Kamel Mennour, dans sa galerie à Paris, en novembre 2016. | Thibault Stipal pour M Le magazine du Monde

En un peu plus de seize ans, Kamel Mennour est devenu un galeriste incontournable de la scène parisienne et internationale. Il défend, c’est son terme, des artistes stars tels que Daniel Buren, Claude Lévêque, Martin Parr ou Anish Kapoor autant que de plus jeunes qu’il pousse dans les plus grands musées et expositions du monde entier. Son rapport au temps est obsessionnel quand il s’agit d’Histoire et empirique quand il tente de se projeter.

Quelle est votre relation à l’Histoire ?

Je suis un féru d’Histoire. J’ai toujours été intrigué par les grands personnages. Lorsque mes enfants ont étudié Napoléon, j’ai relu la biographie de Joseph Fouché écrite par Stefan Zweig. Je peux passer des nuits à lire et relire.

Qu’est-ce qui vous a autant marqué, enfant, pour que vous en soyez passionné aujourd’hui ?

Je voulais tout savoir pour pouvoir l’expliquer à ma mère. Elle n’avait pas la même culture que moi. J’étais à l’école française et ma mère venait d’Algérie. C’est un rapport très personnel. C’est devenu une sorte d’obsession : lire et relire pour mieux comprendre l’Histoire.

Et l’histoire de l’art ?

C’est venu plus tard, vers 23 ou 24 ans, après mes études à la fac. Là encore, j’ai eu besoin de tout apprendre. C’était pratiquement du par cœur. Vous ne pouvez pas faire ce métier si vous restez en surface. Je dois pouvoir expliquer cette œuvre de Buren face à celle de Michel François et ce bas-relief de Valentin Carron. Si on n’a pas les aboutissants et la ligne, les antécédents, les codes, la tendance, on ne peut pas accompagner et défendre les artistes de manière pertinente.

Cette obsession de la connaissance vous mobilise-t-elle toujours autant ?

Tous les jours !

C’est une course sans fin.

C’est un virus qu’on s’inocule. Je défends les artistes de ma génération et de plus jeunes désormais. Je me dois donc de tout savoir de la création dans un spectre d’activité qui va des années 1930-1940 jusqu’aux années 2000. Je dois aussi tout savoir sur leurs pairs. L’art étant aujourd’hui globalisé, je dois m’intéresser à l’Europe, aux États-Unis mais aussi aux scènes coréennes, japonaises, etc.

Vous devez rattraper un retard sur l’histoire de l’art de ces pays.

Absolument. On en apprend tous les jours. Sur l’école de photographie de Bamako par exemple, dont personne ne parlait encore il y a dix ans. Il faut trouver les deux ou trois bibles, rencontrer les artistes s’ils sont encore vivants. C’est la curiosité qui m’a toujours poussé ! Lorsque je vais dans un musée ou chez un confrère et que l’on ne m’explique pas suffisamment, je fronce un peu les sourcils. Il faut s’adapter à celui à qui l’on parle.

Thibault Stipal pour M Le magazine du Monde

Est-ce qu’il arrive que des artistes ne soient pas des experts de l’histoire de l’art ?

Petrit Halilaj est un artiste kosovar que je défends actuellement. Lui est né artiste. Il est brut de décoffrage. Il n’a pas cette culture mais de la poésie qui coule dans ses veines. Il n’a presque pas besoin de ce background-là. Il a une fraîcheur et une candeur incroyable. C’est très rare. Habituellement, les artistes ont une solide connaissance de l’histoire de l’art.

Votre métier de galeriste n’est-il pas d’enchaîner des paris sur l’avenir ?

Je suis toujours en tension. Ce ne sont pas des paris pour accéder à quelque chose de concret. Ma petite forme de création est d’accompagner les artistes, pousser le curseur le plus loin possible. Lorsqu’on imagine une exposition avec un artiste dans tel ou tel musée par exemple, je suis là pour proposer d’aller plus loin, de créer une itinérance. Je crois que je ne suis pas trop mauvais pour écouter et bien comprendre là où il veut aller. C’est ce qui me nourrit. Je dois rentrer dans l’univers de chacun. Dans son temps aussi. Puis, quand vous pensez avoir exaucé quelque chose, il y a un nouveau défi à relever. Et il ne faut pas perdre l’élan. La famille que constitue la galerie permet aussi à chacun d’avancer dans une saine émulation.

Le temps des artistes est-il difficile à « gérer » ?

J’ai appris à l’accepter, à le discipliner. Je travaille en ce moment sur la prochaine exposition de Camille Henrot, au Palais de Tokyo. Ça fait plus de deux ans que nous y travaillons. Ça paraît gigantesque mais ce temps est nécessaire. Les projets sont complexes en termes d’ingénierie, de montage… Il faut savoir se mettre dans le temps de tous les acteurs d’un projet.

Envisagez-vous le temps long comme une carrière ?

Je pense au temps présent mais j’essaie de me demander ce que cela voudra dire dans dix ans. Je crois que mon parcours raconte une histoire. Le tamis du temps dira si ce que je fais est bien ou mal, dira aussi comment je me suis inscrit dans le paysage. J’aimerais qu’on dise que j’ai découvert quelques artistes, que j’ai fait quelques expositions qui ont compté. Que j’ai participé au schmilblick.

Comment voyez-vous l’avenir de l’art ?

Je crois que la « physicalité » des expositions perdurera. On a besoin d’être confronté aux œuvres quelles qu’elles soient. Ce qui change est la façon de communiquer. Aujourd’hui, on peut présenter une pièce dans un lieu complètement éculé à Shanghaï, la poster sur Instagram et recevoir un coup de fil d’une personne à Vancouver pour demander ce que c’est. L’audience est devenue globale. Beaucoup d’artistes l’ont compris et jouent le jeu. Le compte Instagram d’un artiste trentenaire dessine son portrait.

« Préface #1 » jusqu’au 14 janvier à la galerie Kamel Mennour à Londres. Exposition Collective : Valentin Carron, Latifa Echakhch, Petrit Halilaj, Camille Henrot, Alicja Kwade, Claude Lévêque, Robin Rhode.

www.kamelmennour.com

Lire aussi sur « Télérama » : Kamel Mennour, « l’accélérateur de particules » de l’art contemporain