Angela Merkel et Wolfgang Schäuble, ministre des finances, à Berlin, en juillet 2015. | Michael Sohn / AP

Editorial du « Monde ». Le rituel est bien rodé : à chaque élection présidentielle française, le président élu se rend à Berlin pour obtenir un nouveau sursis et laisser filer ses déficits publics. Au nom, bien sûr, de la défense de la croissance et de l’emploi.

Qui peut croire encore à cette fable lorsqu’on observe les performances économiques de l’Allemagne, qui mène depuis quinze ans une politique opposée ? Les chiffres publiés jeudi 12 janvier par Destatis, l’office des statistiques allemand, sont éloquents : le pays a réussi à atteindre une croissance de 1,9 % en 2016, supérieure aux attentes et tirée exclusivement par la consommation intérieure, tout en dégageant un excédent budgétaire de 20 milliards d’euros, soit 0,6 % du produit intérieur brut (PIB). Cela malgré les 20 milliards d’euros consacrés à l’accueil du million de réfugiés venus notamment de Syrie.

Prospérité générale

Quant au chômage, il est tombé à 6 %, niveau historiquement bas depuis la réunification. Mieux, le pays a créé l’an dernier 420 000 emplois, selon l’office des statistiques, et l’introduction du salaire minimum n’a pas freiné la tendance. Enfin, les salaires nets ont augmenté de 1,9 % hors inflation, tout comme leur part dans la valeur ajoutée.

L’Allemagne a inventé un modèle de croissance et de plein-emploi fondé sur la compétitivité et le désendettement

L’Allemagne, dirigée par la chancelière Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble, a donc inventé un modèle de croissance et de plein-emploi fondé sur la compétitivité et le désendettement : la dette, qui était comparable à celle de la France en 2010 (81 % du PIB), est aujourd’hui de 68 % du PIB, tandis qu’elle est de 97,5 % en France. Belle leçon pour les pourfendeurs de l’austérité. Il suffit de se promener en Allemagne pour constater la prospérité générale. Même la capitale, Berlin, perd son charme délabré et commence à ressembler à Munich avec sa richesse tape-à-l’œil.

Prendre le virage du numérique

Dans ce ciel apparemment sans nuages, trois questions toutefois. D’abord, le temps de la surpuissance allemande est sans doute révolu : sa surcompétitivité s’est réduite, en raison des hausses de salaires consenties et des efforts de compétitivité de ses concurrents européens. L’Allemagne doit absolument prendre le virage du numérique, au risque de voir son industrie traditionnelle « ubérisée » par les géants de la Silicon Valley. Pour cela, il faut investir. C’est là que survient le débat sur l’usage de la cagnotte budgétaire allemande. Le pays prend le risque de sous-investir, trop soucieux d’équilibrer ses finances publiques pour ne pas mettre en péril les retraites d’une population vieillissante.

L’enjeu décisif est que le pays investisse de nouveau ses excédents dans la zone euro

Enfin, reste la question de l’excédent commercial allemand (9 % du PIB), dopé par la chute de l’euro et accusé de ravager l’économie de ses voisins. En période de populisme et de contestation de la mondialisation, la menace est sérieuse. La solution n’est pas aisée : il est difficile de forcer une population vieillissante et dotée d’un faible patrimoine à consommer ou de demander à des entreprises de saborder leur compétitivité ; il n’est pas certain qu’une relance de l’Allemagne profiterait à ses partenaires de la zone euro. Selon l’économiste Patrick Artus, l’enjeu décisif est que le pays investisse de nouveau ses excédents dans la zone euro, en Espagne, en Italie, en France. Il a fui après la terrible crise de 2011, qui a sapé la confiance dans les banques et les finances des Etats du sud de l’Europe. La crise des banques en Italie et les non-réformes en France sont un obstacle majeur à ce retour indispensable des capitaux allemands.