Commémoration de la mort du dictateur, en novembre 2015, à Madrid. | Juan Medina / Reuters

Il est invraisemblable qu’existe la Fondation Francisco Franco, de la même manière qu’il serait impensable qu’il y ait une fondation Adolf Hitler en Allemagne ! », s’est insurgé le député Antón Gómez-Reino, de la coalition de la gauche radicale Unidos Podemos, le 3 janvier. Ce jour-là, sa formation a déposé au Parlement espagnol une proposition de résolution pour demander l’interdiction de toute fondation qui « exalte le dictateur Franco, le régime franquiste et tout responsable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ».

Créée dès 1976, un an après la mort du dictateur, afin de « diffuser la connaissance de la figure de Francisco Franco dans toutes ses dimensions, ainsi que les réussites menées à bien par son régime », la structure a fait parler d’elle ces dernières semaines, en Espagne.

La polémique a commencé le 16 décembre 2016. Ce jour-là, un camion-grue se fraye tant bien que mal un passage dans les ruelles pavées de Callosa de Segura, petite ville de 18 000 habitants située dans la province d’Alicante, pour arriver près de la place de l’église.
Là, une centaine de personnes, cheveux gris, dos courbés, voix chevrotantes – 70 ans de moyenne d’âge – entonnent des chants religieux. Pas question de laisser l’engin enlever la Cruz de los caídos (« croix des tombés »), hommage de la phalange aux « morts pour Dieu et la Patrie » tombés durant la guerre civile (1936-1939) aux côtés des putschistes menés par Franco.

Une loi de mémoire historique difficile à appliquer

Pour ne pas obliger la police à déloger des vieillards, le maire socialiste, élu en 2015, finit par renoncer à appliquer la loi de mémoire historique qui, depuis 2007, oblige en théorie les administrations à retirer les symboles franquistes des lieux publics.

En théorie seulement, car l’épisode de Callosa de Segura est loin d’être un fait isolé. En Espagne, la société demeure divisée sur la manière d’affronter son sombre passé. D’un côté, les défenseurs de la mémoire des républicains se battent pour que soient jugés les crimes du franquisme et qu’ils puissent récupérer le corps de leurs aïeux – jetés dans des fosses par les fascistes – afin de cicatriser, enfin, leurs plaies. De l’autre, la droite traditionnelle, représentée par le Parti populaire (PP ; droite, au pouvoir), considère qu’il faut se garder de « rouvrir de vieilles blessures ». De vieux franquistes, qui ont encore pignon sur rue, exaltent quant à eux la figure du dictateur et son combat pour « sauver l’Espagne du communisme ».

La résistance de Callosa de Segura a donc remis cette division sur le devant de l’actualité. L’avocat Eduardo Ranz, spécialiste de la défense de la loi de mémoire historique de 2007, en a profité pour dénoncer l’envoi par la Fondation Francisco Franco de courriers à 335 communes espagnoles refusant elles aussi de supprimer des symboles franquistes. L’institution offre à ces mairies insoumises une assistance légale « à bas prix », voire gratuite, pour éviter « que ne gagnent ceux qui ont perdu la guerre il y a quatre-vingts ans ».

Au passage, l’Espagne a également appris que la Fondation Franco avait décerné des prix à trois élus du PP, lors de son dîner de Noël, le 2 décembre 2016. Le député régional d’Estrémadure Juan Antonio Morales, ainsi que les maires de Guadiana del Caudillo, Juan Antonio Pozo, et d’Alberche del Caudillo, Ana Rivellas, ont été remerciés pour « leur travail en défense de la vérité historique et de la mémoire du Caudillo et de sa grande œuvre ». Unidos Podemos et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) ont demandé leur démission. En vain.

Leurs noms ont rapidement été effacés du site de la Fondation Franco. Reste pour les associations de mémoire républicaine un goût amer. Et une anomalie à corriger : l’existence d’une fondation à la gloire d’un dictateur, avec ce que cela implique en matière de déductions d’impôts. Pour l’avocat Eduardo Ranz, « des fonds publics sont donc utilisés pour l’incitation à la haine et l’exaltation du franquisme ».