Devant le vendeur qui piaffe d’impatience, Boudouin vit un véritable dilemme. « Vous choisissez quoi finalement ?, s’agace le commerçant. Je vous ai dit que le maillot coûtait 4 000 francs CFA [6 euros] et l’ensemble avec pantalon 12 000 francs CFA. Vous avez combien ? » Boudouin plonge les mains dans les poches de son jean bleu et lâche, sous le regard furieux duy vendeur : « Je venais juste me renseigner. » En fait, Boudouin est sorti de sa maison avec la ferme intention de s’acheter un maillot aux couleurs camerounaises pour supporter les Lions indomptables qui disputent, samedi 14 janvier, leur premier match comptant pour la 31e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui se déroule au Gabon.

« Si je l’achète et que les Lions perdent ?, s’interroge Boudouin avec tristesse. J’ai trop peur. Je vais garder l’argent. S’ils gagnent samedi, j’achèterai mon maillot. » Ce jeune maçon de 28 ans est pourtant « né avec le football dans le sang » : « Avant de marcher, je savais déjà la signification d’un corner et d’un coup franc. A la maison, papa était amoureux fou du foot. Maman aussi. Je suis allé jusqu’au Gabon et en Guinée équatoriale pour supporter les Lions, avec mon propre argent. Ils ont trop fait pleurer mon cœur. »

Boudouin n’est pas le seul. Déçus par les défaites consécutives des Lions lors des dernières CAN et leur élimination « honteuse » à la dernière Coupe du monde, de nombreux fans des Lions de Douala, la capitale économique, n’ont plus confiance. « Moi, j’aime le Cameroun. Mais, en supportant les Lions, on risque d’être victime d’un AVC, soupire Elliot Tientcheu, instituteur à la retraite dont le passe-temps favori est le foot. En match amical, ils n’ont même pas pu gagner contre une petite équipe comme le Zimbabwe. Ils ont fait match nul alors qu’ils avaient battu la RDC 2-0. Avec eux, rien n’est sûr. »

Attention à la défaite de trop

Les fans tremblent d’autant plus que, dans la première liste des joueurs convoqués par le sélectionneur belge Hugo Broos, pas moins de huit internationaux, parmi lesquels Eric Choupo Moting (FC Schalke 04), Joël Matip (Liverpool), ont préféré rester dans leurs clubs respectifs. « Tu ne viens pas aujourd’hui, tu ne viens plus. La nation, on la chérit ou on ne la chérit pas », s’était emporté l’ancien joueur camerounais Patrick Mboma sur RFI, face à ces défections, tout en reconnaissant que le Cameroun ne séduisait plus.

Au bar Alt Shanghaï, situé à Ndokoti, l’un des coins chauds de Douala, quelques buveurs ont le regard tourné vers l’écran plat qui diffuse le championnat anglais. Nous sommes à vingt-quatre heures de la CAN et ces hommes assurent avoir perdu « espoir ». Lors de la Coupe féminine d’Afrique des nations de novembre 2016, le lieu grouillait « avant, après et même des jours après les matchs, assurent deux habitués. Elles nous ont fait rêver. Elles jouaient pour la nation, par amour pour nous, pas comme ces mouilleurs [faibles] ! »

Joint par téléphone par Le Monde Afrique, Bonaventure Djonkep, ex-international camerounais aujourd’hui entraîneur, assure ne pas vouloir « interférer dans le job d’Hugo Broos ». Pas de pronostic donc. « Je n’ai vraiment rien à dire sur les Lions indomptables. Rien », conclu-t-il avant de raccrocher. « Le premier match sera décisif pour la nation. Si le Cameroun gagne, et je l’espère de tout mon cœur, tout va changer, assure Déjoly Ngamo, vendeur de bracelets aux couleurs des Lions qui en avait écoulé plus d’une centaine lors de la CAN féminine. S’ils perdent, ce sera fini. Si le Burkina Faso gagne le match d’ouverture, ce sera la défaite de trop. Le Cameroun entier a soif de victoires. » Pour maximiser ses chances, Déjoly vend aussi des bracelets aux couleurs du Nigeria et de la Côte d’Ivoire, « au cas où ».