Juan Manuel Santos, lors d’une visite dans un camp de démobilisation des FARC, le 5 janvier, à Mesetas, dans le département de Meta. | JUAN DAVID TENA / AFP

Le président colombien, Juan Manuel Santos, Prix Nobel de la paix 2016, n’est pas au bout de ses peines. La mise en application de l’accord scellé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en novembre 2016 a déjà pris du retard. Et les négociations avec l’Armée de libération nationale (ELN), l’autre guérilla du pays, piétinent depuis dix mois. Vendredi 13 janvier, une nouvelle réunion exploratoire a démarré à Quito entre la délégation du gouvernement et celle des « Elenos », pour tenter de relancer le processus engagé. Le démarrage de la « phase publique » des négociations devait être annoncé samedi, si tout va bien. Observateurs et analystes ne cachent pas leur pessimisme sur la suite des événements. « Négocier un accord de paix avec l’ELN s’annonce beaucoup plus difficile qu’avec les FARC », résume Kyle Johnson, analyste pour la Colombie de l’International Crisis Group. C’est pourtant la condition d’une « paix complète » dans ce pays de 46 millions d’habitants.

L’agenda en six points des négociations a été publié en mars 2016. Mais le dialogue public – qui aurait dû démarrer en octobre – bute sur le cas de l’otage Odin Sanchez. Le gouvernement exige la libération de ce parlementaire et de tous ceux qui sont aux mains de l’ELN pour reprendre les pourparlers. Les négociateurs guérilleros refusent d’obtempérer à ce qu’ils considèrent une exigence arbitraire. Selon eux, la pratique des enlèvements contre rançon doit être discutée et réglée à la table de négociations.

« L’ELN est une organisation beaucoup plus horizontale que les FARC. Chaque front dispose d’une grande autonomie et le front oriental qui détient Odin Sanchez ne va pas céder facilement », souligne l’analyste Leon Valencia. Le Front oriental, qui opère dans le département du Choco sur la côte pacifique, exige une rançon pour la libération d’Odin Sanchez, accusé d’avoir pratiqué la corruption à grande échelle.

Un « troc » qui ne dit pas son nom

Pour sortir de l’impasse, l’idée d’un « troc » qui ne dirait pas son nom a fait surface fin 2016. Le gouvernement a accepté de nommer « constructeurs de paix » deux chefs guérilleros incarcérés et d’en amnistier deux autres. Mais l’ELN a exigé la libération de deux commandants du Front occidental en prison pour des crimes non amnistiables. Nouvelle impasse.

L’intervention de l’archevêque de la ville de Cali et celle d’intellectuels ont-elles permis de débloquer la situation ? Très actif sur le terrain de la paix, Mgr Dario de Jesus Monsalve s’est prononcé mercredi en faveur d’un accord humanitaire entre les parties dans le cadre du droit international et sous contrôle d’une commission internationale. Pour leur part, une centaine d’universitaires et de personnalités ont adressé une lettre publique aux négociateurs en leur demandant « de céder dans leur arrogance et de donner la priorité à l’urgence de la paix ». Le gouvernement pourrait finalement accepter de nommer quatre « constructeurs de paix » qui sortiraient de prison, libres de poursuites pénales, le temps de négocier un accord.

A l’origine de la lettre ouverte, le professeur Victor de Currea s’interroge sur les raisons de l’intransigeance dont les parties ont fait preuve. « La pratique des enlèvements est absolument condamnable, rappelle-t-il. Mais la paix du pays vaut plus qu’Odin Sanchez. » Mais la droite dure de l’ex-président Alvaro Uribe qui s’oppose à toute concession négociée fourbit déjà ses arguments contre M. Santos, accusé de trop céder à la guérilla.

« Culture différente »

« L’ELN est une organisation avec une longue histoire et une culture politique très différente de celle des FARC », poursuit M. de Currea. Dans le maquis depuis plus d’un demi-siècle comme les FARC, présents dans une centaine de municipalités – sur les quelque 1 000 que compte le pays –, les Elenos se revendiquent tout à la fois du marxisme, du castrisme et de la doctrine sociale de l’Eglise, d’où est née dans les années 1960 en Amérique latine la théologie de la libération. L’ELN a longtemps été dirigée par un curé espagnol.

« Très décentralisée – à la différence des FARC –, l’ELN se veut une guérilla sociétale, ancrée dans la collectivité et articulée avec les organisations sociales des régions où elle est établie », explique M. de Currea. Selon les autorités, l’organisation ne compte « que » 1 500 combattants et combattantes en armes (alors que les FARC en alignaient 8 000 au moment de s’asseoir à la table des négociations). Toujours selon le professeur, « le gouvernement se fourvoie s’il entend traiter l’ELN en appendice des FARC, s’il pense que les concessions à faire dépendent des effectifs de son adversaire ».

D’autant que ceux-ci sont difficiles à établir. L’organisation dispose en effet d’un réseau de miliciens et de sympathisants autrement plus important que celui des FARC. « Impossible de savoir avec précision combien sont ces civils, combien ont une arme, combien seraient prêts à rejoindre le maquis à l’appel de l’ELN. Mais ils peuvent être dix fois plus nombreux que les combattants en arme », rappelle Kyle Johnson. C’est dire que la « petite » ELN dispose de ressources pour occuper les territoires laissés par les FARC en processus de démobilisation. Personne ne doute que le président Juan Manuel Santos a tout intérêt à négocier la paix avec elle. Mais bien peu pensent qu’il y parviendra.