Le 31 août à Libreville, un supporteur de l’opposant Jean Ping, candidat à l’élection présidentielle contre Ali Bongo, fait face aux policiers anti-émeutes. | MARCO LONGARI / AFP

La 31e Coupe d’Afrique des nations (CAN) s’est ouverte au Gabon, samedi 14 janvier, avec le match d’ouverture à Libreville entre le pays hôte et la Guinée-Bissau (1-1). Dans un contexte politique tendu depuis la réélection controversée du président Ali Bongo, face à son adversaire Jean Ping, à l’issue d’une élection tenue à la fin d’août, alors que des appels au boycottage sont lancés, l’Afrique du football aura les yeux tournés vers son tournoi majeur.

Ancienne membre de l’union des femmes du Parti démocratique gabonais [le parti d’Ali Bongo] et du ministère de la famille, Laurence Ndong est désormais une vive opposante au régime. Auteure de Gabon, pourquoi j’accuse, aux éditions L’Harmattan, cette chercheuse en sciences de l’éducation condamne fermement l’instrumentalisation politique de la CAN.

Peut-on dire que la CAN arrive au bon moment pour le président Ali Bongo, après la contestation de sa réélection et la crise politique qui s’est ensuivie ?

Laurence Ndong : Dire que la compétition tombe bien pour Ali Bongo revient à dire que l’organisation de la CAN est un hasard du calendrier qui coïncide avec la situation de crise au Gabon. Or, Bongo avait planifié son coup d’Etat électoral lorsqu’il est allé chercher cette organisation. Son but était de se servir du football pour calmer les populations, car il savait à l’avance que son bilan était si contesté qu’il ne gagnerait pas l’élection et qu’il passerait en force.

En 2012, le Gabon avait déjà coorganisé la CAN avec la Guinée équatoriale. En 2015, cette dernière, dirigée d’une main de fer par Teodoro Obiang, l’avait organisée seule. Le football est-il plus que jamais un instrument de propagande politique ?

Aujourd’hui, les Gabonais reprochent directement à Ali Bongo d’utiliser le football pour légitimer son pouvoir frauduleux. Nous n’avons rien contre le foot en tant que tel, ni rien contre la CAN en tant que telle, mais cette compétition est très mal venue. A titre d’exemple, lundi 9 janvier, on a demandé aux chefs d’établissement d’envoyer des élèves pour garnir les tribunes du stade d’Oyem lors de son inauguration, dans le nord du pays. On leur avait donné des t-shirts avec l’inscription « CAN 2017, merci Ali ». D’ailleurs l’un des bus ayant servi au transport d’une vingtaine d’adolescents a été victime d’un accident et des blessés ont été dénombrés. On est clairement dans l’instrumentalisation politique.

Certains opposants gabonais appellent au boycottage de la compétition sur place. Croyez-vous à un tel mouvement ?

La colère du peuple est telle qu’elle va à mon avis s’exprimer. Les Gabonais veulent que devant le monde entier, le pouvoir fasse démonstration de sa répression. Il y a un tel contraste entre la situation politique, économique et sociale du pays et l’organisation d’une telle compétition, que les Gabonais, en grande majorité, ne veulent pas de cette CAN. À Port-Gentil, à Libreville, partout et comme ils le pourront, ils vont manifester. Le contexte social est tellement dur que les élèves gabonais s’assoient par terre dans des salles de classe surchargées et les malades n’ont pas de médicaments à l’hôpital. Chaque peuple a son seuil de tolérance, on a atteint le nôtre. Les conditions de vie n’ont jamais été aussi exécrables.

Il faut savoir que les autorités en sont à distribuer gratuitement des billets. C’est une mascarade qui va tourner au fiasco, car en plus du manque d’adhésion populaire, il y a un manque criant d’infrastructures. Les routes ne sont pas prêtes, il n’y a pas d’hôtels décents. Chaque projet est une occasion de détourner des fonds. Comment expliquer que le coût d’organisation de la CAN 2017 a été estimé à 463 milliards de francs CFA [environ 706 millions d’euros] alors qu’en 2012, il avait été estimé à 400 milliards de francs CFA.

Même si l’édition 2012 avait été coorganisée, on devrait normalement avoir suffisamment d’infrastructures pour que la deuxième coûte moins cher. Autre fait troublant, le stade Omar-Bongo, qui devait être prêt en 2012, ne l’est toujours pas en 2017 [il a été recalé par le comité d’organisation de la compétition en octobre 2016].

Ali Bongo et Issa Hayatou le 19 octobre 2016 à Libreville. | STEVE JORDAN / AFP

Qu’en est-il de la responsabilité de la Confédération africaine de football (CAF), qui a choisi le Gabon ?

A mon sens, la responsabilité de la CAF est engagée. J’ai d’ailleurs lu dans les journaux que le dossier de l’Algérie [autre candidat à la CAN 2017] était le meilleur. Il y a une certaine opacité dans le choix. De manière objective, lorsque l’on regarde la situation du pays, que l’on relève les infrastructures déficientes, que même les critères sportifs, comme l’état de notre championnat national, sont négatifs, on peut s’interroger.

Avec cette décision, la CAF s’est tiré une balle dans le pied, d’autant que la contestation et les appels au boycottage ne sont pas récents. De plus, dès septembre, des pays comme le Maroc et l’Algérie se sont également proposés pour récupérer l’organisation. Mais Issa Hayatou [président de la CAF] a décidé de maintenir le tournoi au Gabon lors d’une visite à Ali Bongo. Maintenant, les deux devront assumer le fait d’avoir la CAN la plus nulle de l’histoire.

Qu’attendez-vous des joueurs de l’équipe nationale, en particulier du capitaine Pierre-Emerick Aubameyang ?

Lorsque l’on porte le maillot d’une équipe nationale, que l’on est une figure publique, lorsque l’on est le capitaine comme Pierre-Emerick Aubameyang [né à Laval et qui joue à Dortmund], on doit être impliqué dans le sort de son pays même si on n’y a pas grandi. Si certains sont aussi déconnectés, comment peuvent-ils être assez patriotes pour représenter leur pays ?

Aubameyang sait très bien que tout est politisé au Gabon et que le football n’y fait pas exception. Pourquoi, lorsqu’il est désigné meilleur joueur africain l’an passé, remercie-t-il Ali Bongo et son épouse ? Comment des sportifs peuvent-ils rester silencieux devant l’injustice ? Des Gabonais ont été tués pendant les émeutes post-électorales. Lors du premier match après les émeutes, à Franceville, ils n’ont pas observé de minute de silence, ni porté de brassard noir.

[Pierre-Emerick Aubameyang s’est exprimé le 1er septembre au lendemain des premiers troubles sur son compte twitter, lire en dessous]

Avez-vous peur qu’un bon parcours de l’équipe nationale passe sous silence la situation au Gabon ?

Tout d’abord, je n’ai pas à souhaiter que le Gabon n’aille pas loin. Peu importe le résultat, les Gabonais n’oublieront pas. Cependant, il serait surprenant que la sélection fasse un bon parcours, car je vous assure qu’il n’y a eu aucune préparation. A une semaine du match d’ouverture, l’équipe s’est inclinée 2-1 contre un club du championnat national, le FC Mounana. Le nouveau sélectionneur espagnol [José Antonio Camacho] est déjà en conflit avec sa Fédération. Tout naturellement, la mauvaise gestion des autorités se reflète au sein de la sélection.

Et puis, la réalité est là, le peuple ne va pas oublier ses conditions de vie. Rien ne va changer sous le prétexte improbable que le Gabon devienne champion d’Afrique. Bongo se trompe lourdement s’il pense que le peuple oubliera. Il risque même de se fâcher avec la CAF et avec les autres délégations à cause de sa mauvaise organisation. Ça sera une honte pour lui, pas pour les Gabonais qui ne se sentiront pas concernés : ils ne voulaient pas de cette CAN.