La Nintendo Switch surprend par la qualité de son écran, autant que par son ergonomie déconcertante. | QUENTIN HUGON / Le Monde

« Ça pique. » C’est l’expression que l’on pouvait retrouver depuis vendredi 13 janvier et l’annonce du prix de la prochaine console de Nintendo. Celle-ci sera disponible en France à partir du 3 mars au prix généralement constaté de 330 euros sans jeu, avec un Zelda à 70 euros, des manettes supplémentaires à 85 euros et un jeu en ligne pour la première fois payant. Tentative d’explications.

330 euros pour une console de jeu au lancement, est-ce cher ?

Tout dépend du référentiel choisi. Pour une console de salon haute définition, elle se situe dans la fourchette basse, la moyenne depuis 2005 se situant à environ 400 euros. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Nintendo la positionne comme une console de salon nomade plutôt que comme une console portable capable d’envoyer son signal sur téléviseur, ce qu’elle est techniquement. Elle serait alors comparée à des machines moins chères, comme la PS Vita, lancée à 250 euros en 2012. Toute l’astuce est que la Switch est tout à la fois une console de salon et portable, et qu’il n’existe aucun référent qui corresponde exactement à ce qu’elle propose – seuls quelques produits de niche s’approchent de son concept.

Si le prix a surpris et déçu, c’est également parce que Nintendo est coutumier des machines accessibles, et qu’il s’agit de la plus chère de son histoire. Mais à l’image de son écran, d’une qualité inattendue, la console est plus haut de gamme que ses prédécessrices. La firme de Kyoto souligne également que, grâce à ses deux manettes intégrées détachables, il n’est pas besoin d’acheter une console ou un contrôleur supplémentaire pour pouvoir jouer en duo.

En revanche, difficile de contester la cherté des accessoires et des jeux, que de nombreux observateurs ont déjà comparée à celle d’Apple. L’annonce d’un abonnement en ligne payant associé à un jeu en location d’un mois quand la concurrence offre ce dernier en illimité a également fait grincer des dents. Plus que par le prix de la console, c’est par sa politique tarifaire générale que le constructeur risque de s’aliéner des joueurs.

Le prix de la Switch dans la moyenne des consoles haute définition au lancement
La Switch se situe à un tarif inférieur à la moyenne (400 €). Le prix des composants baissant, la PlayStation 4 et la Xbox One coûtent désormais moins de 300 €, mais elles ne sont pas portables.
Source : Archives

Est-il possible que la Switch se vende mal au lancement ?

Les chances sont minces, tout simplement parce que Nintendo table sur une mise en place raisonnable : deux millions d’unités au niveau mondial d’ici au 31 mars. A titre de comparaison, la Wii U s’était écoulée à trois millions à son lancement, en 2012, en pleine période de Noël, et s’était retrouvée en rupture de stock. En 2010, pour un produit différent mais à une époque de l’année comparable, Apple avait vendu trois millions d’iPad.

Mise en place limitée pour la Switch au lancement
Nintendo veut en vendre 2 millions d'ici à la fin de son premier trimestre fiscal d'exploitation. C'est moins que les ventes effectives des quatre précédentes consoles Nintendo, vendues moins chères.
Source : Nintendo

La véritable question, c’est le niveau des ventes de la console de mars à septembre. Son calendrier des sorties ne comportera plus de titres aussi forts que Zelda: Breath of the Wild, les passionnés de la marque l’auront déjà acquise, et la dynamique du lancement sera difficile à entretenir. En 2013, dans un contexte pour l’instant comparable, la Wii U s’était complètement effondrée avec seulement 430 000 unités vendues au cours de son second semestre d’exploitation, contre 3,02 millions au premier.

Après le semi-échec de la GameCube, la Wii avait été vendue (250 euros avec un jeu), et la Wii U plus cher (280 euros sans jeu). Pourquoi Nintendo reste-t-il sur des tarifs comparables à celui de la Wii U, qui a été un échec ?

Parce que les situations sont différentes. En 2006, en pleine arrivée de la haute définition et de l’explosion des coûts de développement associés, le constructeur japonais avait fait coup double en se tournant vers le très grand public avec des jeux peu coûteux mais originaux et fédérateurs. Un peu plus de dix ans plus tard, ce grand public a tourné le dos au monde des consoles pour se disperser sur tablettes et smartphones.

Avec The Legend of Zelda: Breath of the Wild à 70 euros en titre de lancement, Nintendo vise désormais en premier lieu les early adopters, les gros consommateurs et les férus de ses univers. A l’image de la mise en vente d’une édition collector de Breath of the Wild à 100 euros, déjà presque épuisée, cette clientèle acquise est moins sensible au prix. L’idée n’est pas pour autant d’abandonner le très grand public que la Wii avait conquis, mais de le reconquérir de manière incrémentale, comme l’a expliqué à Time Reginald Fils-Aimé, directeur de la filiale américaine de Nintendo :

« L’empreinte de la Switch sera très large. Enfants, jeunes adultes, parents, gamers vont tous l’occuper. Mais ce qui va se passer, c’est que cet espace va se remplir petit à petit avec les lancements de jeux suivants. »

Suivant une stratégie basée sur le contenu plutôt que sur le prix, des titres comme 1-2 Switch et Snipperclips viseront ainsi le public de la Wii. L’ambition affichée de Nintendo est de devenir une console véritablement familiale à partir de Noël, notamment avec la sortie de Super Mario Odyssey, à la portée plus universelle qu’un Zelda.

Super Bomberman R, Skylanders : Imaginators et Just Dance 2017… les jeux d’éditeurs tiers présents au lancement sont très peu nombreux et peu originaux au lancement. Pourquoi ?

Nintendo ferait-il encore peur aux éditeurs tiers, habitués à des ventes faméliques sur les consoles du japonais ? Il est vrai que ceux-ci brillent plutôt par leur prudence : de simples portages côté Ubisoft et Activision, un FIFA encore bien mystérieux côté Electronic Arts, des jeux Sonic et Street Fighter peu coûteux à développer côté Sega et Capcom. Mais il n’est pas encore possible d’en conclure quoi que ce soit.

Deux éléments sont à prendre en compte. D’une part, au lancement, The Legend of Zelda: Breath of the Wild devrait écraser toute la concurrence. Le parc installé de la machine étant par nature très faible à ses débuts, quel intérêt auraient-ils à développer des jeux coûteux pour se partager quelques miettes du gâteau ? D’autre part, entre le 3 mars et Noël, un événement majeur se profile : le Salon mondial annuel du jeu vidéo de Los Angeles, l’Electronic Entertainment Exposition (E3). C’est là que la plupart montreront leurs projets, car tous ne sont pas encore annoncés, tant s’en faut.