Benoit Hamon, l’un des promoteurs du revenu unversel, dans son QG de campagne, le 3 janvier à Paris. | OLIVIER LABAN-MATTEI POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». Il est devenu l’utopie de la campagne électorale : le revenu universel. La France s’enthousiasme pour ce concept, défendu chez les libéraux par le philosophe Gaspard Koenig, à droite par Nathalie Kosciusko-Morizet et à gauche par Benoît Hamon. Le projet a mille variantes, mais sa version la plus pure consiste à verser à chaque individu majeur un revenu minimal fixe, inconditionnel, que l’on soit sans domicile fixe ou que l’on s’appelle Liliane Bettencourt.

L’idée est séduisante à de nombreux égards. D’abord, elle permettrait d’éradiquer la grande pauvreté en garantissant à chacun, y compris aux jeunes, un revenu d’existence décent. Aujourd’hui, de nombreuses personnes n’ont pas accès à l’aide sociale, car les démarches leur sont trop compliquées. Là, un simple relevé bancaire suffirait. La manœuvre permettrait de regrouper sous une même bannière les aides existantes (RSA, allocation logement, allocations familiales, minimum vieillesse…) et de simplifier la jungle administrative qui rend l’Etat social inopérant.

La fin du travail ?

Selon ses promoteurs, le revenu universel serait très moderne, adapté à l’intermittence de plus en plus grande du travail. Mieux, avec lui, le travail paie toujours : un euro gagné est un euro supplémentaire dans la poche, déduction faite de l’impôt sur le revenu. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, puisqu’un chômeur qui reprend un emploi perd progressivement ses aides.

Toutefois, plusieurs questions se posent. La première est philosophique. Le revenu universel acterait la fin du travail. Cette thèse, développée par Benoît Hamon, qui entend taxer les robots, n’est pas encore prouvée : le chômage n’est pas une fatalité, comme l’atteste le plein-emploi au Royaume-Uni et en Allemagne, le salariat en CDI reste la norme écrasante tandis que l’ubérisation de la société n’est pas certaine. « Je crois à la société du travail, parce que c’est l’outil de la dignité du citoyen », a déclaré, à juste titre, Arnaud Montebourg, opposant au revenu universel. Si chacun a droit à vivre dignement, l’octroi d’un revenu sans contrepartie ne va pas de soi : son inconditionnalité serait un pas de plus vers l’individualisme effréné qui déconstruit notre société.

22 points de PIB

C’est ici qu’intervient la contrainte financière. Pour que ce système ne fasse pas de perdants, il faudrait, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), verser à chaque adulte 785 euros par mois. Montant de l’addition, 480 milliards d’euros, soit 35 points de CSG ou 22 points de PIB ! La France, déjà championne en la matière, passerait à un taux de dépenses publiques équivalent à… 79 % du PIB ! Il suffit de rappeler que la révolte fiscale de 2013 a été provoquée par une hausse dix fois moindre des impôts pour comprendre le caractère impraticable du revenu universel, qui ne dispense pas de financer l’Etat régalien, les retraites, la santé, l’éducation… Ajoutons que nul ne peut prévoir les effets de bord qu’aurait dans cette France socialisée le revenu universel sur les salaires et le smic, soumis à une énorme pression à la baisse par les entreprises.

Bref, comme l’analyse l’économiste Patrick Artus, le revenu universel n’est pas finançable à moins de diviser par deux les aides sociales. Il s’agit d’une fausse bonne idée, même s’il faut fusionner et simplifier les différentes allocations. C’est la conclusion à tirer de ce débat utile.