Jamais les Cranes n’auront aussi bien porté leur nom. Ils portent haut les couleurs et l’emblème de leur pays, une grue couronnée (crane en anglais) sur bandes noires, rouges et or. Lors de la cérémonie de remise des prix de la Confédération africaine de football (CAF), le 5 janvier, l’équipe nationale a été récompensée avec le titre de meilleure équipe nationale, et son gardien, David Onyango, celui de meilleur joueur basé en Afrique. Les Cranes doivent cette distinction à un exploit : celui d’avoir atteint la phase finale de la très convoitée Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui démarre ce mois-ci au Gabon, près de quarante ans après leur dernière participation.

C’était sous Idi Amin Dada, et les Cranes évoluaient alors parmi les meilleures équipes du continent. Le onze ougandais avait même réussi à se hisser jusqu’en finale de la CAN 1978, où il s’était incliné face au Ghana. Depuis, plus rien ou presque. Les troubles politiques des années 1980 et 1990 n’ont pas aidé à reconstituer une équipe, et il a fallu attendre les années 2000 pour que les Cranes renouent quelque peu avec le succès. Ils n’avaient échoué que de peu à participer à la phase finale de la CAN 2015, et tiennent cette année leur revanche. Ils sont également en bonne position pour se qualifier pour la Coupe du monde 2018, après avoir éliminé le Togo.

Ne compter que sur soi

Mais le plus spectaculaire, dans cette performance, est que l’équipe nationale ougandaise ne doit pratiquement compter que sur elle-même et le patriotisme de ses joueurs. En dépit d’individualités très fortes, dont certaines, comme le milieu de terrain liégeois Farouk Miya, jouent dans des clubs européens, le foot de haut niveau – tout comme d’autres disciplines (athlétisme, boxe, rugby, etc.) dans lesquelles excellent les Ougandais – bénéficie en effet d’un soutien financier très limité.

« Il y a tellement peu en termes d’investissements, que ce soit de la part du gouvernement ou du secteur privé, qui pourrait aider à fonder un football moderne, se désole Moses Magogo, le président de la Fédération ougandaise de football (Fufa). Qu’il s’agisse d’argent, de préparation, de développement ou encore de présentation de l’équipe aux compétitions internationales. » Pis, selon son président, la Fufa doit faire face à des tracasseries difficilement compréhensibles, comme les taxes sur le matériel sportif importé, qui grèvent encore plus des ressources déjà maigres.

CAN 2017 : l’équipe idéale du Monde Afrique
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Si la Fédération a finalement obtenu pour 2017 un budget global de 3,6 millions d’euros, plus conséquent que celui de 2016 (2,4 millions d’euros), celui-ci demeure très faible au regard des autres fédérations africaines. La Fufa, qui avait demandé 1,8 million d’euros pour assurer l’envoi de l’équipe et du staff technique au Gabon, ainsi que pour financer le programme de préparation en Tunisie et à Dubaï, s’est vu octroyer à peine plus de 500 000 euros. A titre de comparaison, les Ivoiriens bénéficient de près de 6 millions d’euros pour que leur équipe défende son titre de championne continentale 2015.

Participation financière de chaque député

Pour l’entraîneur, le Serbe Milutan Sredojevic, cet apport est largement insuffisant. « Micho », comme le surnomment affectueusement les Ougandais, est monté au créneau à plusieurs reprises ces dernières semaines pour exiger le respect des engagements gouvernementaux, prenant même à témoin les internautes. « Le support financier promis pour les Cranes ougandais n’est jamais arrivé, ce qui a fait annuler le match préparatoire contre le Gabon », a-t-il ainsi protesté dans un tweet rageur du 27 décembre 2016. Avant de poursuivre : « Forcés d’annuler les entraînements et matchs de préparation à Tunis et à Dubaï, et forcés d’oublier la CAN. »

Devant le risque de polémique, les autorités ougandaises se sont finalement résolues à trouver les fonds manquants. Soudainement consciente de l’enjeu, l’Assemblée a même voté une participation exceptionnelle de… 125 euros par parlementaire, soit un soutien se montant à un peu plus de 50 000 euros. Un appel à contribution (« The Cranes needs you ! ») a par ailleurs été lancé sur les réseaux sociaux auprès des Ougandais. A la clef, la possibilité de gagner des déplacements au Gabon pour tout transfert par téléphone de plus de 10 000 shillings (un peu plus de 2,5 euros). Pas forcément de quoi rassurer Micho et son équipe, en attendant le grand déplacement à Port-Gentil, où les Crânes doivent affronter, mardi 17 janvier, le Ghana lors de leur premier match de la compétition.

Sélectionneur des Cranes, le Serbe Milutan Sredojevic est surnommé « Micho » par les Ougandais. | Gaël Grilhot