infographie : Le Monde

C’est sans doute le chiffre le plus observé et commenté du bilan démographique publié chaque année par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). En 2016, la fécondité a diminué pour la deuxième année d’affilée, selon les chiffres rendus publics mardi 17 janvier. L’année dernière, 785 000 bébés sont nés. Soit 14 000 de moins qu’en 2015, qui avait déjà connu 20 000 naissances de moins que l’année précédente. L’indicateur conjoncturel de fécondité s’établit à 1,93 enfant par femme, contre 1,96 en 2015, et 2 en 2014.

Cette baisse est particulièrement marquée pour les femmes âgées de 25 à 29 ans, et n’est plus compensée, comme les années précédentes, par une augmentation de la fécondité aux âges plus élevés. Elle résulte également, dans une moindre mesure, de la baisse du nombre de femmes en âge de procréer, celles nées durant le baby-boom sortant progressivement de cette tranche d’âge.

La France en tête en Europe

Résultat, le solde naturel (différence entre les naissances et les décès) s’établit à 198 000 personnes, « au plus bas depuis quarante ans », relève Marie Reynaud, responsable des études démographiques et sociales de l’Insee. Il continue cependant à constituer l’essentiel de la croissance de la population, qui augmente de 0,4 %, loin devant l’immigration (plus 67 000 personnes). Le nombre d’habitants du pays s’élève à 66,9 millions.

Les fondamentaux restent cependant bons : la fécondité demeure élevée en France, qui détient toujours le record européen devant l’Irlande (1,94 enfant par femme). Le pays le moins fécond d’Europe est le Portugal (1,3 enfant par femme).

Si le chiffre de la natalité est aussi sensible, c’est parce que l’exception française est une fierté nationale, et que les politiques s’en emparent. Le candidat Les Républicains à l’élection présidentielle, François Fillon, reproche à la gauche le « matraquage dont ont été victimes les classes moyennes et surtout les familles nombreuses » (baisse du plafond des allocations familiales, modulation des allocations familiales et de la prestation d’accueil du jeune enfant en fonction du revenu). « Le renouvellement des générations n’est plus assuré », s’alarme le candidat sur son site Internet.

Les démographes sont réticents à établir un lien direct entre des modifications de la politique familiale et une évolution démographique. « Les comportements individuels résultent de facteurs multiples, explique Magali Mazuy, spécialiste de la natalité à l’Institut national d’études démographiques (INED). La politique familiale, qui permet aux couples d’avoir des enfants dans de bonnes conditions, a un impact parmi d’autres éléments. » La baisse de la fécondité aux âges jeunes, au moment où les femmes sont les plus fécondes, est une évolution de société. L’âge moyen à la maternité s’établit en 2016 à 30,4 ans.

Augmentation de la durée des études, allongement de la partie de la vie perçue comme la « jeunesse », difficultés à s’insérer sur le marché du travail et précarité des jeunes l’expliquent. « L’évolution qui fait que les femmes diplômées retardent leur entrée en maternité pourrait être en train de s’étendre à l’ensemble de la société, observe Mme Mazuy. En France, la norme est que, pour avoir un enfant, il faut avoir une vie professionnelle et affective stable. Se projeter dans la vie de famille est compliqué quand on est en situation précaire. »

La nouveauté du bilan 2016 est que cette baisse n’est pas compensée par l’augmentation des naissances aux âges plus élevés. « Nous observions auparavant un décalage dans le temps des naissances, analyse Mme Reynaud. Ces deux dernières années ce n’est pas le cas, la fécondité reste stable à partir de 30 ans. » L’Insee ne peut pour l’heure avancer d’explication. La crise économique pourrait avoir un effet retardé en France, alors que d’autres pays y ont été confrontés plus tôt, faute d’amortisseurs sociaux comparables.

Augmentation de l’espérance de vie

« Aux Etats-Unis, l’indice conjoncturel est passé de 2,12 enfants par femme en 2008 à 1,8 en 2014, observe Gilles Pison, professeur de démographie au Museum national d’histoire naturelle. Au Royaume-Uni, il a reculé de 1,96 à 1,82 sur la même période. La France apparaît en décalage et la baisse est moindre. » Un impact des réformes de la politique familiale est, selon ce chercheur, « une hypothèse » parmi d’autres. « Les allocations ont été réduites ou supprimées pour une minorité aisée, pour qui cela représente une faible part des revenus et n’a probablement pas eu de conséquence directe, poursuit-il. Mais l’idée que les allocations sont en baisse a peut-être entretenu l’inquiétude pour l’avenir générée par le chômage. »

La question des limites physiologiques pour enfanter pourrait par ailleurs être posée. Les chances d’être enceinte diminuent en effet avec l’avancée en âge. Des travaux ont montré les conséquences du décalage des naissances au niveau individuel (après 35 ans, les chances de réaliser un projet d’enfant diminuent fortement), mais un impact sur la fécondité à l’échelle nationale n’a pas été mis en évidence.

L’autre grand enseignement du bilan est l’augmentation de l’espérance de vie, qui repart à la hausse, après une année 2015 marquée par un recul inédit. L’espérance gagne, en 2016, 0,3 année pour les hommes comme pour les femmes, ce qui compense la perte de 2015. Une surmortalité liée à une épidémie de grippe, à un vaccin inadapté et à un épisode de canicule avait alors eu lieu.

En 2016, le nombre de décès reste élevé, à 587 000, soit 7 000 de moins qu’en 2015. « Cette légère baisse a contrecarré la hausse tendancielle des décès issue du vieillissement de la population », observe Mme Reynaud. La part des personnes de plus de 65 ans dans la population est de 19,2 %. Elle a augmenté de trois points en dix ans, et de quatre points en vingt ans.