Le Cercle des ­économistes organise au journal Le Monde, le 18 janvier, le second des trois débats sur les principaux enjeux économiques et ­sociaux de l’élection présidentielle de 2017, autour du thème « Où va le travail ? » Ce cycle de débats regroupe des personnalités issues de dix think tanks, dont Bertrand Martinot et Estelle Sauvat de l’Institut Montaigne, qui se sont exprimés, à cette occasion, dans nos colonnes.

Par Bertrand Martinot et Estelle Sauvat, Institut Montaigne

Les transformations du marché du travail réclament de renforcer l’offre de formation à destination des salariés. | Google Images

Notre marché du travail traverse une période de bouleversement telle que la fermeture des usines de sidérurgie dans les années 1980 semble presque anecdotique. Ces transformations bousculent les logiques verticales des branches professionnelles, rendent les relations de travail plus volatiles et réinterrogent profondément l’offre de service dont ont besoin les travailleurs en matière de sécurisation des parcours professionnels, quel que soit leur statut (salariés, chômeurs, indépendants, etc.).

Pour aborder ce nouveau monde, les réformes qui tendent à assouplir un droit du travail encore très marqué par le spectre de la grande industrie des années 1970 sont évidemment indispensables. Il en va du redressement de notre économie et de notre capacité collective à rester dans la course. Mais ces réformes ne suffiront pas à garantir un retour au plein-emploi, ni à trouver les compétences nécessaires aux entreprises, ni à ce que les emplois créés et les rémunérations soient tirés vers le haut. Au contraire, elles amplifient le sentiment d’insécurité des actifs et paralysent le pays, au point de rendre aléatoire leur acceptabilité politique.

Un dispositif inégalitaire

En matière de sécurisation des parcours professionnels, les nombreuses réformes impulsées par les partenaires sociaux depuis 2004 (création du droit individuel à la formation), dont le nouveau compte personnel d’activité (CPA) n’est que le dernier avatar, ne sont de toute évidence pas à la hauteur : très insuffisamment financés, incroyablement bureaucratiques et surtout inégalitaires. En outre, ces nouveaux droits à la formation, plafonnés en nombre d’heures, ne garantissent pas l’accès à un conseil dispensé par des professionnels. Or, ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est bien d’œuvrer contre l’isolement des travailleurs. Il faut faire émerger une véritable industrie de la reconversion professionnelle, qui traiterait de manière souple et innovante de questions aussi variées que ­celles de la formation, de l’orientation, de la définition d’un projet de carrière et de ­l’accompagnement vers la création d’entreprise.

Ce dont nous avons besoin, c’est de faire émerger une véritable industrie de la reconversion professionnelle

C’est pourquoi il faut aller jusqu’au bout de la lo­gique des droits attachés à la personne. Il est indispensable de doter tous les actifs, au moins dans un premier temps ceux du secteur privé, de véritables ressources, aisément appréciables, susceptibles d’être mobilisées librement et sans contrainte par les personnes pour financer tout type de prestation liée à un objectif d’évolution professionnelle.

Pour un capital emploi formation

Telle est la solution que nous proposons avec l’Institut Montaigne à travers la création d’un capital emploi formation pour tous les actifs. Grâce à cet outil, chacun pourrait financer une éventuelle reconversion professionnelle en choisissant les opérateurs de son choix. Le financement de ce capital individuel serait assis sur deux piliers : d’une part, une cotisation mutualisée de 0,4 % sur les salaires (fusion des actuelles cotisations consacrées au compte personnel formation et au congé individuel de formation) et sur le chiffre d’affaires des indépendants, d’autre part des versements par les entreprises au moment de la rupture du contrat de travail (à l’exception de la démission). Bien entendu, la négociation collective pourrait décider d’aller au-delà des minima légaux et inclure d’autres ver­sements en franchise de prélèvements fiscaux et sociaux, résultant, par exemple, de la monétisation de jours de RTT ou de comptes épargne-temps. Cette même négociation pourrait également prévoir des contreparties à des assouplissements de la rupture du contrat de travail (par exemple l’acceptation par le salarié de clauses de rupture prédéfinies dans le contrat de travail en échange du versement par l’employeur d’une dotation supplémentaire).

Au total, ce capital pourrait être doté d’environ 7 milliards d’euros par an. Combiné à l’action des régions et au recyclage de nombreux dispositifs publics actuellement consacrés à l’accompagnement vers le retour à l’emploi et au reclassement professionnel, ce système permettrait de dégager des ressources suffisantes pour « équiper » les actifs. Il aurait également l’avantage de rééquilibrer en partie les sommes colossales consacrées aujourd’hui à la sécurisation des revenus (assurance-chômage, indemnités de rupture) au profit de dépenses agissant directement sur l’évolution professionnelle ou le retour en emploi. Enfin, il permettrait de créer et de solvabiliser un véritable marché de la ­reconversion et du reclassement professionnel, dûment régulé et soumis à la surveillance d’autorités de certification. Les potentialités d’un tel système, levier à la fois d’innovation, de personnalisation des prestations et de responsabilisation des actifs, sont considérables.