Dix jours avant la passation de pouvoir à la Maison Blanche qui soulève de légitimes craintes tant sur le plan national qu’international, le voisin canadien a choisi la voie de l’audace politique. Le vent qui a soufflé à Ottawa, le 10 janvier, est bien plus serein et humaniste que celui qui s’apprête à sévir sur Washington. Il est vrai que le premier ministre canadien Justin Trudeau rappelle davantage le Barack Obama de 2008 que le Donald Trump assailli par les affaires avant même d’avoir prêté serment.

Arrivé au pouvoir en novembre 2015 après une nette victoire aux élections fédérales, Justin Trudeau promet aux Canadiens un changement progressiste. Il a pris les rênes du Parti libéral deux ans plus tôt et veut construire un Canada plus engagé dans le monde, plus accueillant et plus réconcilié sur le plan national. Son premier gouvernement se signale par sa stricte parité (quinze hommes et quinze femmes) et son étonnante diversité avec des ministres nés en Inde, en Afghanistan ou en Somalie.

Un parfait inconnu

Grand, élégant, longiligne, crâne chauve et sourire éclatant, Ahmed Hussen a 40 ans et un petit reste d’enfance sur le visage. Ce 10 janvier, il fait sensation : c’est le premier parlementaire d’origine somalienne devenu ministre du gouvernement canadien à la faveur d’un remaniement. Il partage des points communs avec le souriant Trudeau. Tous deux sont jeunes, télégéniques, membres du Parti libéral et soutenus par des électeurs enthousiastes. Mais la comparaison s’arrête là. Si Justin, fils d’un ancien premier ministre populaire au Canada, est bien parti pour se faire un prénom, Ahmed Hussen, lui, était encore hier un parfait inconnu.

Son histoire ressemble d’abord à celle des centaines de milliers de civils fuyant Mogadiscio lors de la chute du régime de Siad Barré, en 1991, pour rejoindre le Kenya voisin. Contrairement au mythe largement répandu, l’essentiel des réfugiés et des migrants africains s’exile et réside sur le continent même. L’enjeu humain et politique est d’abord une affaire régionale et interafricaine, il est bon de le rappeler. De tous les réfugiés somaliens, une poignée quitte le Kenya, l’Ethiopie ou Djibouti pour l’Europe et l’Amérique du Nord.

Député en 2015

En 1993, Ahmed Hussen arrive au Canada. L’adolescent est pris en charge par son grand frère qui le pousse à étudier. En 2002, sa licence d’histoire en poche, Ahmed Hussen choisit de s’investir socialement au sein des quartiers accueillant les nouveaux migrants et autres réfugiés.

Dix ans plus tard, c’est en avocat qu’il défend les intérêts des habitants de York South-Weston, le district le plus populaire de la province de l’Ontario. Ce sont eux qui l’élisent député en 2015. Le natif de Mogadiscio sait d’où il tire sa légitimité : « Mon expérience personnelle d’immigrant au Canada, mais aussi d’avocat en droit de l’immigration et de militant au sein de la communauté m’a été très utile. »

Le 10 janvier, Justin Trudeau le nomme à la tête du ministère de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté. Certes, son élection a fait le tour des rédactions du monde, mais le plus difficile commence. Il s’agit de faire du bon travail, de convaincre ses adversaires sans trahir les aspirations de ceux qui attendent beaucoup de sa nomination. A l’instar d’Ilhan Omar, la première Américaine d’origine somalienne élue dans le Minnesota, le parcours d’Ahmed Hussen a valeur de test. Les pressions ne manqueront pas de peser sur leurs décisions. La presse et les adversaires guetteront le moindre faux pas.

Le nouveau ministre se dit fier de sa communauté, mais c’est pour sa patrie, le Canada, qu’il va se battre tous les jours. Si, pour la presse, il déroule les étapes de sa vie en forme de conte de fées, il conclut souvent qu’il n’est qu’un petit gars ordinaire qui veut partager avec ses concitoyens les bienfaits que le Canada lui a accordés. Pour le reste, il tente de suivre les conseils de sa mère, installée au Kenya, qui lui répète : « Ahmed, n’oublie pas qui tu es et d’où tu viens ! » Derrière chaque homme remarquable, il y a une mère nourricière et bienveillante.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (éd. Zulma).